« Aujourd’hui le dispositif ULIS ne permet pas des conditions de travail et un système éducatif décents » : Coup de gueule de notre chroniqueur Olivier Ducruix sur un mécanisme qui fait débat.
Dans cette nouvelle chronique, Olivier Ducruix a décidé d’évoquer un sujet différent de ceux qu’il aborde habituellement – la musique et la voile – afin de pointer du doigt une situation qui l’interpelle particulièrement : celle des enseignants en classes ULIS – Unité Locale d’Inclusion Scolaire – des élèves qui y sont scolarisés, et de leurs AESH, accompagnants d’enfants en situation de handicap.
Des femmes et des hommes souffrent au quotidien dans l’exercice de leur métier au sein de l’Éducation nationale. Des femmes et des hommes (mais surtout des femmes) travaillent 7 jours sur 7, et jusqu’à 60 heures par semaine pour mener à bien la mission qui leur est confiée, avec la conscience professionnelle exemplaire dont ils ont toujours fait preuve tout au long de leur carrière.
Plusieurs fois par jour, ils sont confrontés à la violence et doivent gérer des situations de crise, protéger l’enfant qui en est la cause, protéger les autres enfants, se protéger eux-mêmes et protéger les AESH, accompagnants d’enfants en situation de handicap, présents dans la classe.
Les classes ULIS, une intention louable mais un manque de moyens criant
Ces salariés, fonctionnaires de l’Éducation nationale, ont fait le choix d’enseigner au sein d’un dispositif ULIS. Une ULIS, c’est une Unité Locale d’Inclusion Scolaire. C’est le dispositif qui a pour objet l’inclusion des enfants en situation de handicap au sein des établissements scolaires, écoles et collèges. L’intention est louable, et j’y souscris. Chaque fois qu’elle est possible, l’inclusion est par nature une excellente solution. Je suis tout à fait convaincu du bien-fondé de la démarche, à condition d’y mettre les moyens, de l’intelligence, des processus de prise de décisions efficaces et réactifs, un véritable soutien pour celles qui sont en première ligne, et de la bienveillance. Malheureusement, c’est sur l’ensemble de ces aspects que le bât blesse incroyablement. Il faut en être témoin pour le croire. La réalité est un cauchemar, une véritable catastrophe à des années-lumière du discours institutionnel et médiatique !
Des missions multiples, difficiles et épuisantes
Les moyens, quels sont-ils ? Un enseignant pour accueillir 12 élèves dans le dispositif, et gérer les relations avec leurs parents, leurs éducateurs, leurs thérapeutes en tous genres (orthophonistes, psychologues, psychiatres, …), les chauffeurs de taxi, la MDPH. Il faut aussi sensibiliser, convaincre et faire progresser la plupart des collègues qui accueillent dans leur classe, chaque fois que c’est possible, des enfants du dispositif. Au total, des missions multiples, difficiles, épuisantes, impossibles à mener à bien correctement sauf à empiéter largement sur son temps personnel et en conséquence sa vie de famille, à y laisser toute son énergie, et très souvent sa santé.
Un problème de cohérence et des délais de 6 mois à un an
L’intelligence, quant à elle, brille souvent par son absence au moment de définir le groupe des enfants qui constituera l’effectif du dispositif ULIS. La question de la cohérence des troubles de comportement des différents enfants du groupe ne se pose pas, pas plus que celle de la faisabilité d’accueillir un enfant autiste ayant besoin d’être rassuré et en confiance dans un groupe comprenant déjà des enfants colériques et violents.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le dispositif dysfonctionne. C’est même le contraire qui serait un miracle ! Et pourtant, malgré les nombreuses urgences, pour faire bouger les choses, obtenir la mise en place de soins, ou même tout simplement un diagnostic… obtenir une AESH pour un élève, obtenir un matériel adapté par exemple un tricycle pour permettre à un enfant de pratiquer le sport dans sa classe de référence, ou même un matériel tout à fait classique comme une tablette, obtenir un aménagement de temps scolaire… il faut des dizaines de coups de téléphone (sans mobile professionnel, les enseignants spécialisés n’en sont évidemment pas pourvus), des dossiers en veux-tu en voilà, des réunions, des commissions, et au final un délai de 6 mois à un an dans le meilleur des cas. Pendant ce temps, l’élève en situation de handicap ne bénéficie pas du service public de l’Éducation nationale de qualité qu’il serait en droit d’attendre. Et les petits soldats que sont l’enseignant et les AESH s’épuisent.
Un soutien insuffisant et soumis à une importante paperasse
Heureusement me direz-vous, l’enseignant dans la difficulté peut solliciter du soutien. Sur le papier les leviers sont multiples et variés, depuis le conseiller pédagogique jusqu’à l’inspecteur de l’Éducation nationale, en passant par les enseignants spécialisés coordinateurs des pôles ressources. Encore une fois, au royaume de l’administratif, la paperasse est reine ! Pour les solliciter, ce sont encore des formulaires et des dossiers aussi chronophages qu’inutiles, pour ne récolter en retour que des rapports inintéressants dans lesquels l’auteur (l’expert en soutien) se borne à lister ce que j’appelle des « mesurettes ». Par exemple, « essayer de différer la crise ou déplacer l’enfant dans une autre salle », ou « se mettre en lien avec la famille », ou « proposer à l’enfant, un temps en exclusivité individuelle avec l’adulte ».
De petites actions concrètes utiles certes, voire nécessaires, mais tellement évidentes que l’on peut se demander à quoi sert le soutien ! Et bien entendu tout à fait insuffisantes à rétablir une situation correcte. Évidemment, 95% si ce n’est davantage de ce qui est proposé a déjà été mis en place par l’enseignant, mais ceci n’apparait pas le moins du monde ! La lecture du rapport de tel ou tel soutien, rédigé suite à sa visite d’observation au sein du dispositif, est tout simplement stupéfiante ; elle nous donne réellement le sentiment que l’enseignant n’avait rien fait. Non seulement le soutien semble ignorer le mal-être de l’enseignant en difficulté, mais il l’accroît par son manque de tact et l’absence de reconnaissance du travail formidable déjà accompli. Par contre, aucune mesure vers les décideurs pour s’attaquer aux causes profondes !
C’est comme s’il ne fallait surtout pas déranger, surtout pas solliciter la hiérarchie dont c’est pourtant le devoir de veiller aux bonnes conditions de travail des salariés, et d’améliorer par de vraies décisions structurantes, le fonctionnement de notre système éducatif pour les enfants en situation de handicap.
Des conditions qui ne peuvent pas perdurer
À mon sens, ceci ne peut pas perdurer. Je fais le vœu que mon propos soit lu et entendu, et que parents, enseignants et AESH s’unissent pour mener une action collective pour qu’enseignants, AESH et enfants en situation de handicap aient enfin droit, pour les premiers à des conditions de travail décentes, pour les seconds à un système éducatif décent.
J’aimerais conclure par une petite anecdote malheureusement édifiante. Un inspecteur de l’Éducation nationale a été informé qu’un enseignant en dispositif ULIS a décidé de quitter ce poste en fin d’année scolaire (pour toutes les raisons que je viens d’évoquer). Au lieu de s’en alarmer et d’assumer son rôle managérial qui aurait consisté à accompagner le collaborateur en difficultés, à reconnaitre son travail extraordinaire, à coconstruire des solutions et prendre des décisions y-compris dans l’urgence, a simplement eu cette phrase : « C’est bien qu’il se soit rendu compte qu’il n’est pas fait pour ce poste. »
Quand on sait que l’enseignant en question est depuis 30 ans le conjoint d’une personne en situation de handicap, on est en droit de se demander si ce n’est pas l’inspecteur qui n’est pas fait pour son métier !
Éclairage : Les ULIS
Les ULIS, ou Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire, sont des dispositifs dédiés à la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés : ULIS-école, ULIS-collège, ULIS-lycée. Les classes ULIS fonctionnent sous la forme d’un « petit groupe d’élèves présentant des troubles compatibles », comme l’explique le Ministère de l’Éducation nationale.
Les élèves scolarisés au titre de ce dispositif présentent des troubles des fonctions cognitives ou mentales, des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, des troubles envahissants du développement (dont l’autisme), des troubles des fonctions motrices, des troubles de la fonction auditive, des troubles de la fonction visuelle ou des troubles multiples associés (pluri-handicap ou maladies invalidantes).
Il revient aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de décider de l’orientation d’un élève vers une ULIS, afin qu’il puisse poursuive son parcours scolaire « en inclusion avec des apprentissages adaptés à ses potentialités et besoins et d’acquérir des compétences sociales et scolaires, même lorsque ses acquis sont très réduits ».
À noter que les élèves orientés en ULIS sont ceux qui, en plus des aménagements et adaptations pédagogiques et mesures de compensation mis en œuvre par les équipes éducatives, ont besoin d’un enseignement adapté et dont le handicap ne permet pas d’envisager une scolarisation individuelle continue dans une classe ordinaire.
Par ailleurs, chaque élève scolarisé au titre des ULIS participe, selon ses possibilités, à des temps de scolarisation dans une classe de l’établissement scolaire où il peut effectuer des apprentissages à un rythme proche de celui des autres élèves.
Source : Ministère de l’Éducation nationale. Site : https://eduscol.education.fr/
Une réponse
Quelle image négative de l’ulis! Je suis d’accord pour mettre en avant certaines problématiques mais il y a tellement de choses positives à dire aussi!