Julien Laigre, 31 ans, a peu à peu perdu l’audition, définitivement. Après avoir longtemps caché sa surdité, il a finalement décidé de raconter comment il vit au jour le jour avec ce handicap invisible, apparu progressivement, et qui lui donne l’impression de n’appartenir ni à la communauté des sourds, ni à celle des entendants.
« Travaillant dans le secteur du tourisme, j’avais ma société en Afrique de l’ouest jusqu’à ce que je devienne sourd, raconte Julien. En rentrant en France, après avoir tout abandonné, j’ai appris la langue des signes en 6 mois, et j’ai écrit ce livre. À l’origine, c’était juste un travail de deuil, mais j’ai réalisé que ma famille et mes amis ne comprenaient pas ce qui m’arrivait, tout comme le grand public lui-même connaissait mal la surdité. J’ai ainsi pris la décision de publier ce travail. Perdre son état de nature est une véritable épreuve. J’ai grandi en cachant ma différence par peur d’être rejeté. J’ai mis ma passion de scénariste de côté pendant longtemps, aujourd’hui grâce à cette deuxième vie qui s’offre à moi, j’ai décidé de me donner une chance de m’accomplir, de me redéfinir ».
«Un jour, je serai sourd » a été sélectionné parmi les ouvrages en compétition pour le prix Handi-Livres 2014, dont les lauréats seront désignés en fin d’année. En voici un extrait : « Être sans cesse accroché à leurs lèvres, être attentif à tout ce qui se passe autour. Un grand découragement s’impose à moi lorsque je suis soumis à la bonne vieille remarque du « T’entends que ce que tu veux !». Ce genre de personnes qui s’en tiennent au fait que parfois je réussis à saisir ce qu’on me dit, et d’autres fois, non. Souffrir d’un déficit auditif c’est donc courir le risque d’être isolé et de se sentir mal compris. Face à un inconnu, j’ai donc beau m’écarquiller les yeux pour essayer de lire sur ses lèvres, de me désosser la colonne vertébrale pour tenter de choper le maximum, rien n’y fait je suis dans le brouillard, le flou… Je m’en sors avec à peine 2 ou 3 mots sans grande certitude… C’est tout simplement immensément fatiguant de rester en communication comme si rien de grave ne s’était passé. Le handicap auditif compromet sensiblement la communication et l’accès à l’information, mais j’ai su développer ma propre stratégie pour communiquer : lecture labiale, expressions du visage, déductions… Je ne suis pas devenu sourd du jour au lendemain. Petit à petit, mes fonctions auditives se détérioraient. Mais étant donné que j’ai caché mon handicap tout ma vie passée, et que j’ai dû l’accepter d’un coup, c’est comme si j’étais devenu sourd subitement ».
« Un jour, je serai sourd », éditions Airelle, 120 pages, 13 euros.