« A l’heure même où nous fêtons le bicentenaire de l’anniversaire de Louis Braille, les services rectoraux et académiques annoncent la fermeture d’une classe de l’école primaire de l’établissement régional adapté aux jeunes déficients visuels. Ainsi j’ai souhaité rencontrer ces élèves et les photographier dans leurs activités quotidiennes, capter la sensibilité et atteindre l’accessible. Je ne cherche pas à montrer l’invisible, la vision est bel et bien présente, les images sont mentales et les représentations deviennent réalité. Avec instinct, spontanéité et proximité, ils m’offrent ce que mon regard refuse. Sans pudeur et sans tabous, sans limites et sans préjugés, je pénètre alors dans un monde où tout est sensible, un monde où rien n’est impossible. » telle est la démarche de Rose-Marie Loisy, jeune photographe présentant son reportage photographique auprès de jeunes enfants déficients visuels.
Pas seulement un reportage
C’est en janvier 2009 que l’artiste réalise ses premières prises de vue au sein de l’établissement scolaire adapté aux déficients visuels. Elle s’intéresse aux méthodes d’apprentissages ainsi qu’aux compétences développées afin de compenser le handicap. Face au combat mené par les enseignants et les parents d’élèves contre la fermeture de l’école annoncée par les services académiques, Rose-Marie Loisy prend le parti pris d’aller plus loin dans sa démarche, « Je ne veux pas seulement produire un reportage personnel, je souhaite impliquer ces élèves dans mon travail et réfléchir à la notion d’accès à l’image ». Elle réalise alors une série couleur et une série noir & blanc de photographies, proche de l’individu, elle développe son sujet à travers le portrait. Saisissant des instants de vie, un personnage isolé dans une action ou hors du temps, la série procure un questionnement, un doute, laisse l’imaginaire se mettre en marche et le spectateur plonger dans l’instant capturé.
Puis Rose-Marie Loisy commence à concevoir son travail en relief, comment décrire une photographie et comment la représenter ? Le cadrage est déterminant dans ses images, la part graphique joue un rôle important, ramenant le spectateur à son statut de voyant, il est nécessaire de rendre perceptibles les lignes de force, les masses, les formes ou encore les perspectives, au public non voyant. Après plusieurs échanges avec des personnes non voyantes, elle élabore neuf images en relief composées à partir de ces propre photographies, à base de carton plume et de pâte à coller. « Une description de l’image est indispensable, l’image en relief seule ne peut fonctionner, elle permet d’amener une représentation concrète avec une échelle et des principes de premier plan/arrière plan ». Des descriptions simples et objectives pour chacune des images en relief finalisent ce travail. Le résultat fonctionne, la combinaison texte et images en relief est validé par différentes personnes déficientes visuelles de l’établissement.
Une exposition « sensée »
Ce travail, ancré dans une intime relation entre le sujet photographié et le photographe ne s’arrête pas là. Grâce aux enregistrements sonores capturés au cours des six mois de présence de l’artiste, nous sommes plongés au plein coeur de la vie quotidienne de ces enfants « la parole est leur premier outil de communication et de mémoire, capturer une expression, un rire ou une ambiance marque un instant, il me semblait indispensable de diffuser ces instants aussi précieux et représentatifs du monde des déficients visuels. » Ainsi, l’exposition photographique devient multi-sensorielle, les images sont palpables et le son plante le décor. Voyants, mal voyants et non voyants développent chacun leur propre regard.
L’artiste
Rose-Marie Loisy est née en 1986 et vit à Lyon.
Diplômée d’un baccalauréat en communication elle se lance dans des études de journalisme et multimédia durant lesquelles elle réalise divers reportages dans le milieu culturel et associatif. Ces trois années de professionnalisation lui font changer de cap et les premières expériences en photographie la ramène à son but ultime, s’orientant vers l’atelier de photographie Magenta, dirigé par Dominique Sudre. Durant deux années, elle cherche avant tout à développer un point de vue et une identité propre. Réflexion et investissement personnel l’aident alors à transcrire ses émotions et ses engagements en images.
Un stage de deux mois au sein du service photo du quotidien Le Progrès lui confirme son désir de poursuivre dans le reportage avec la particularité de traiter des sujets sur du plus long terme. Elle clôture ainsi la série personnelle «Corps» et entame un travail de six mois auprès de personnes aveugles et malvoyantes, monde inconnu et sujet qu’elle considère comme délaissé. Poussée par des questionnements sur ces individus et leur rapport à l’image, elle créé un atelier d’initiation photo avec une classe d’enfants malvoyants et projette de renouveler cette expérience avec un public non voyants. A ce jour, elle s’oriente vers des reportages de fond traitant l’Homme, ses différences, ses modes de vie et son environnement.
L’ATELIER PHOTOGRAPHIQUE
« J’ai vraiment pris conscience de l’intérêt d’apporter une culture photographique car nous vivons dans un monde d’images et il est important que ces enfants en aient une représentation ».
Chacun ressent et conçoit le monde différemment, en créant cet atelier d’initiation photographique avec une classe d’élèves malvoyants, en parallèle à son reportage, Rose-Marie Loisy a proposé à chaque enfant de réfléchir sur l’image qu’il avait des autres et celle qu’il portait sur lui-même. A quoi sert une photo ? Où en trouve-ton ? Quel type de photos faites- vous ? Après plusieurs interrogations sur la photographie en général et quelques notions techniques, l’artiste a choisit de travailler sur le thème de l’autoportrait.
Mission : réaliser un autoportrait en diptyque, une photographie représentera une partie de votre corps, l’autre sera composée d’un objet ou lieu caractérisant une de vos passion ou activité. Dans un texte descriptif, vous expliquerez vos choix.
Un autoportrait n’est pas qu’un simple portrait de soi, cela peut être une représentation de soi, de sa personnalité, de ses désirs, de son passé, …
Rose-Marie Loisy aborde avant tout la photographie sur le thème de la réflexion et de la méthode « pas question de prendre l’appareil photo et d’aller faire 50 images avant de trouver ce qui nous correspondra le mieux. Chacun savait déjà ce qu’il allait photographier et le type de cadrage qu’il souhaitait.»
A l’issue des cinq séances de travail, la mission est accomplie. Cadrage, composition, formes, lignes, couleurs, ils se sont pris au jeu avec enthousiasme. Ils ont su dépasser les contraintes techniques avec l’aide d’un appareil photo compact, l’écran leur permettant de cadrer facilement sans avoir besoin de connaître les notions plus complexes de la photographie. «Le but était de leur montrer que la photographie ne se limite pas aux photos de vacances et qu’elle peut leur permettre de s’exprimer et de regarder le monde différemment ». Les élèves exposent leurs photographies aux côtés de celles de Rose-Marie Loisy, accompagnées des textes qu’ils ont rédigé en noir et en braille pour leurs camarades non voyants.
Vers un atelier photo avec des non voyants…
Face au succès de cet atelier photographique, Rose-Marie Loisy souhaite renouveler l’expérience avec des élèves voyants ou malvoyants dans le but d’apprendre à bien regarder une image et savoir pourquoi nous souhaitons en créer. Pour aller plus loin, elle désire approfondir ces ateliers en répondant à une autre problématique : « les aveugles sont-ils capables de prendre des photos ? » à laquelle elle répond un oui affirmatif. Dans un souci de travailler sur la notion d’espace et d’orientation, la photographie peut devenir un support pour mieux appréhender le monde. «Les personnes non voyantes entendent et ressentent le monde qui les entoure, à l’aide du son et du toucher, elles sont absolument capable de prendre des photos, en insistant sur la question du positionnement et de la distance, où suis-je placé, où est mon sujet ? Avec le numérique, il est très facile de leur apprendre des techniques simples de cadrage avec ou sans l’aide d’une personne ».
L’objectif de ces ateliers est fondé sur l’échange entre le monde des voyants et celui des non voyants, pouvoir montrer à une personne voyante ce qu’on a vu et vécu autrement que par la description « il s’agit de créer une passerelle entre le monde visible et le monde perceptif, obtenir une reconnaissance et être fier de pouvoir partager sa vision du monde ». Marquée par le désir de proposer un autre mode d’expression aux personnes déficientes visuelles, Rose-Marie Loisy souhaite proposer ces ateliers photographiques à différents établissements et associations spécialisés.
Une exposition photo accessible aux déficients visuels
Photographies de
Rose-Marie Loisy
Images en relief, descriptions en noir et en braille, extraits sonores.
+ Exposition des photographies réalisées
par les élèves malvoyants de CE2/CM1/CM2 de la Cité scolaire René Pellet – EREA DV à Villeurbanne, dans le cadre d’un atelier photo organisé par l’artiste.
Du 18 mai au 19 juin 2009
à la cité scolaire René Pellet – 32 rue de France – 69100 Villeurbanne
Du lundi au vendredi, de 8h à 18h.
Prendre contact avec l’artiste pour une visite au 06 03 97 28 07.