Alix & Moi, l’application qui aide au quotidien les personnes souffrant de schizophrénie
Selon les chiffres de l’Institut Montaigne, 1 personne sur 5 est concernée chaque année par une maladie mentale dans le monde. Ce chiffre nous montre à quel niveau notre société doit se préoccuper de la santé mentale. L’OMS (Organisation Mondiale de la santé) retient cinq maladies mentales parmi les dix pathologies majeures du XXIe siècle : la schizophrénie, les troubles bipolaires, les dépressions, les addictions et les troubles obsessionnels compulsifs. Pour venir en aide au quotidien à ces personnes, des chercheurs planchent pendant de nombreuses années. C’est le cas de Delphine Fabre, psychologue, neuropsychologue et chercheur à l’hôpital du Vinatier de Bron (69). Delphine Fabre, à l’issue de plusieurs années de travail, a mis au point une application baptisée « Alix & Moi » pour accompagner les personnes atteintes de schizophrénie et participer à améliorer leur réhabilitation sociale et professionnelle. Et c’est fondamental car seuls 20% des patients schizophrènes ont un emploi stable.
Y a-t-il des contextes sociaux plus favorables à la maladie mentale ?
Des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux déterminent la santé comme la maladie. C’est le cas pour les maladies mentales. C’est-à-dire qu’il y a une vulnérabilité génétique qui est la partie biologique. Celle-ci va s’exprimer en fonction de l’environnement de la personne et de sa capacité à gérer cet environnement, en particulier tout ce qui relève des facteurs de stress. Dans une société où l’on en demande toujours plus, les facteurs de stress sont assez importants. C’est ce cocktail bio-psycho-social qui va faire que la maladie va se révéler à l’âge adulte.
Nous avons tous plus ou moins une vulnérabilité à développer certains symptômes face au stress mais on peut bien sûr ne jamais développer de maladie mentale.
Pourriez-vous nous parler des origines de votre projet ?
Ce projet est né parce qu’à l’hôpital en qualité de neuropsychologue, nous avons la possibilité de consacrer un temps dédié à l’enseignement, la formation ou la recherche. Étant donné mon profil universitaire, j’ai utilisé ce dispositif pour la recherche. Je me suis intéressée aux troubles cognitifs de patients atteints de schizophrénie car il me semblait que les dispositifs proposés pouvaient être amélioré. D’ailleurs ces dernières années les soins apportés en psychiatrie ont beaucoup évolué.
J’ai centré ma recherche sur l’entrainement cérébral et j’ai pu faire les premiers essais avec des budgets issus de l’hôpital avec le développent d’un logiciel. Il existe déjà certains outils pour ré-entraîner des fonctions du cerveau déficitaires. En étudiant de près ces outils, je me suis rendu compte qu’un mécanisme cérébral n’était pas pris en compte alors qu’il était nécessaire pour l’initiation d’activités de la vie quotidienne. Ce mécanisme a été étudié par des équipes de recherches outre atlantique qui montraient qu’il était déficitaire chez les personnes atteintes de schizophrénie. J’ai reproduit puis transposé ces recherches en solutions concrètes pour les patients. J’ai réalisé des pré-tests à l’hôpital et décidé de rendre cet outil plus abordable et surtout diffusable au plus grand nombre de patients possibles. L’application Alix & moi apporte au patient possibilité de réaliser un échauffement cérébral directement en lien avec une activité quotidienne qu’il s’apprête à réaliser et pour laquelle il souhaite progresser. Il peut s’échauffer sur autant d’activités qu’il souhaite. Cet outil est complémentaire de la prise en charge traditionnelle (une à deux consultations par semaine). Le patient adapte ses entrainements en fonction de son rythme et n’a pas besoin de se déplacer ou d’être accompagné. En conséquence, les résultats pourraient être meilleurs avec un bénéfice directement observable par l’utilisateur dans son quotidien. L’outil permet aussi de mesurer le niveau de satisfaction de la personne. Ce type d’application va permettre de mieux connaître les usages des patients et leurs besoins, ce qui est précieux pour pouvoir l’améliorer.
Concrètement que propose votre application ?
Une fois l’application installée sur le Smartphone, la personne souffrant de schizophrénie choisit le domaine dans lequel elle souhaite progresser et accède directement aux exercices et à des programmes d’exercices prédéfinis. Cela peut être par exemple « prendre soin de moi ». Ensuite l’application lui propose la plus petite chose qu’elle puisse faire pour aller dans cette direction (par exemple se laver les dents au quotidien). Elle peut programmer l’application de façon à ce que le téléphone lui rappelle par anticipation de quelques minutes de se laver les dents à heures fixes. Ce petit rappel booste la personne au niveau cérébral et augmente son intentionnalité en lui proposant une représentation complète de l’action à mener. La version propose quatre bibliothèques d’actions : « Mon bien-être », « Ma famille, mes amis », « Ma vie pro » et « Mon lieu de vie ». Chacune de ces ouvertures propose des actions simples à mener quotidiennement avec une alerte par anticipation. L’utilisateur va se faire une « feuille de route mentale » des activités à venir, de façon à ce que les actions à faire soient claires. Des éléments de gamification et de récompenses ainsi que des notifications encouragent la personne à faire les exercices. Ainsi nous avons montré que l’on peut améliorer les performances cognitives de ces patients avec l’ambition de les aider à améliorer et maintenir leur réhabilitation sociale et professionnelle.
Est-ce que toutes les personnes touchées par la schizophrénie peuvent bénéficier de votre application ?
C’est plutôt adapté pour les personnes qui sont stabilisées par un traitement et dont la vie quotidienne est compliquée par les troubles cognitifs associés à la maladie. C’est important car c’est la limite des traitements médicamenteux.
Est-ce que votre application peut-être prescrite à la sortie de l’hôpital ?
Je pense que ce serait très intéressant que ce soit fait à ce moment-là et que ça puisse être un élément en plus de l’entrainement cérébral, et un élément de lien dans le soin.
Comment vos travaux ont-ils été reconnus ?
Pour des raisons déontologiques et financières, je suis passée dès le lancement du projet par le conseil scientifique du Centre Hospitalier le Vinatier composé de nombreux médecins et j’ai travaillé en partenariat avec l’équipe PsyR2 du CNRL (Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon). Ils ont étudié mon projet en détails et j’ai obtenu deux financements pour le développement du logiciel. Un article est paru sur le sujet dans « Frontiers in Psychiatry », publiant des recherches rigoureusement évaluées par des pairs dans le domaine. Puis est venu l’étape du transfert de technologie : la méthode d’entrainement cérébral a été développée dans un format Application mobile grâce au partenariat avec Pulsalys pour devenir Alix & moi®.
Que pouvez-vous-nous dire des premiers résultats ?
Sur l’ensemble des personnes qui l’ont téléchargée, et qui ont bien compris son utilisation (dans cette version, il n’y avait pas de tutoriel ou d’explications pour démarrer), ils l’ont utilisé régulièrement pendant 4 mois. Pour quelques-uns il y a eu des difficultés liées au matériel car l’application requiert une configuration minimale et quelquefois c’était simplement une vitre cassée qui empêchait son utilisation. Par contre le taux d’équipement de la population cible est bon. Je connais la plupart des utilisateurs car j’ai fait une présentation à l’UNAFAM, à Messidor, comme dans des services de santé mentale (le SUR –Service Universitaire de Réhabilitation et l’UPP -Unité de Psychoéducation et Psychothérapie). Les personnes qui l’ont le plus utilisée sont celles qui avaient eu une explication. J’ai appelé chacune de ces personnes pour leur demander leur avis. Je suis donc en possession de données précises issues des utilisateurs comme de l’application elle-même. J’ai ainsi pu vérifier ce qui était intuitif ou pas, l’efficacité des exercices proposés, le design, le sentiment de confiance dans le produit et d’autres données. Une seule personne s’est retrouvée perdue face à l’application. Aujourd’hui nous nous penchons donc sur la version béta 2 : notre objectif est de poursuivre l’évaluation rigoureuse des bénéfices sur un échantillon plus large d’utilisateurs. Nous envisageons de créer de nouveaux exercices, en particulier pour favoriser l’observance des traitements et des liens avec des sites ressources pour faciliter l’insertion socioprofessionnelle de ces patients. Pour cette évaluation de la version 2 d’Alix et Moi, nous cherchons à développer des partenariats avec des services de psychiatrie et des associations spécialisées dans les maladies mentales et l’accompagnement par le travail.
Remerciements pour ce projet
Développement et Laboratoire de rattachement : CH le Vinatier, CRNL -équipe PsyR2 et Pulsalys.
Ils nous soutiennent : UNAFAM 69 et UNAFAM AURA. MESSIDOR
En photo : Delphine Fabre, créatrice de l’application « Alix & Moi ».