Handivoile : Les prémisses d’un projet pour développer la voile handisport et notamment en direction des personnes déficientes visuelles
Par Olivier Ducruix. Je suis malvoyant, artiste dans le domaine de la musique, et ingénieur. Pratiquant la voile, je suis également porteur du projet Cécivoile dont l’objet est de développer la pratique de ce sport pour les personnes déficientes visuelles, de même que la pratique de la handivoile. N’hésitez pas à me contacter si vous le souhaitez ! Mon adresse mail : [email protected] mon site internet : http://olivierducruix.com et ma page Facebook : https://www.facebook.com/olivierducruixchanson/
Comment aborder cette chronique, qui sera j’ose l’espérer la première d’une longue série, voilà une question difficile. Mon propos est sans aucun doute de vous faire partager ma passion pour ce merveilleux sport nautique qu’est la voile sous toutes ses formes. Qu’il s’agisse de croisière, de régates, de voile légère ou sur voilier habitable, le plaisir, la sensation de glisse et de liberté sont omniprésents et nous procurent bonheur et vitalité. Quand je dis « nous », je parle de tous les pratiquants passionnés, et en particulier de ceux qui comme moi sont en situation de handicap. Le plus simple est peut-être de commencer par le commencement et de vous raconter comment je suis venu non seulement à une pratique avancée de ce sport, mais aussi pourquoi j’ai eu envie de devenir un acteur de son développement pour les personnes handicapées et notamment les personnes déficientes visuelles.
Je suis atteint d’une maladie de la rétine d’origine génétique. La maladie de Stargardt, c’est son nom, a pour effet une dégénérescence maculaire, non liée à l’âge et sévère. Enfant, mon acuité visuelle était de l’ordre d’un dixième. Aujourd’hui, elle n’est plus chiffrable, j’utilise une canne blanche au quotidien. Je suis en situation de cécité partielle, et même totale dans un contexte de forte luminosité, ce qui est presque toujours le cas sur un voilier, du fait de la réverbération de la lumière sur l’eau. Dans ces conditions, je suis non pas dans le noir mais dans le blanc, complètement ébloui !
Enfant, originaire du beaujolais, partant peu en vacances, je n’avais jamais vu la mer, et encore moins navigué, lorsqu’un jour (je devais avoir environ 10 ans) j’eus ce que je n’ai pas peur d’appeler une révélation. Je me souviens très bien de la scène. C’était un samedi après-midi, comme d’habitude je passais le plus clair de mon temps devant la télé, quand je tombais par hasard sur un reportage au sujet de la Transat anglaise qu’Éric Tabarly venait de remporter pour la seconde fois en 12 ans (la première fois c’était en 64), premier marin à réussir cet exploit ! À l’époque je distinguais encore assez bien les couleurs et je fus tout simplement émerveillé par les images de ce magnifique voilier Pen Duick VI qui semblait voler sur les flots, emporté par le bruit des vagues dont certaines venaient atterrir sur le pont. Ouvrant bien grand mes oreilles, je buvais avec délice les explications des journalistes et d’Eric Tabarly qui était interviewé. Je fus fortement amusé aussi par les silences de ce dernier, longs et paisibles, qui signifiaient visiblement : « Ta question n’est pas opportune, je n’y réponds pas ».
Dix ans plus tard, étudiant à l’INSA de Lyon, 2 potes « voileux » eurent un jour l’idée d’organiser un week-end de croisière en méditerranée. Evidemment je fus de la partie, et c’est ainsi que l’histoire débuta réellement. De cette première sortie, je retiens l’extraordinaire sensation de changer d’espace-lieu et d’espace-temps, à l’instant même où je pose le pied sur le voilier. C’est juste incroyable, un petit saut sur le bateau et tout devient différent. Le temps ralentit sa course, le monde s’apaise, l’espace est à la fois réduit aux quelques mètres carrés du voilier et infini car ouvert sur l’immensité des mers et des océans. Une sensation nouvelle et inattendue, unique ! Je retiens aussi qu’il y avait peu de vent, et beaucoup de houle car le mistral avait soufflé fort les 3 jours précédents. Je fus bien malade en mer, et généreux au point d’offrir ma salade de riz aux petits poissons. La navigation de Marseille à Cassis me parut bien longue. Huit heures pour faire un trajet que nous aurions mis une demi-heure à faire en voiture, et sans être indisposé ! Quel étrange sport ! Malgré tout, aussi bizarre que cela paraisse, j’avais passé un super week-end et j’avais une seule envie : celle de recommencer dès que possible !
Suivirent d’autres croisières en méditerranée, 3 jours puis une semaine. Toujours malade et de plus en plus de plaisir ! J’étais un peu impressionné par les briefs sécurité que nous faisait Fred (notre copain skipper). Il avait fait la célèbre école des Glénans, « école de voile, école de vie » comme dit très bien sa devise. C’est la base, toujours rester humble face aux éléments. J’étais aussi et surtout vivant à 200% quand le vent dans le visage, me tenant fermement aux filières, je surplombais la mer de quelques mètres, assis au vent tout en haut du voilier qui gîtait ! C’est bon de se sentir le roi du monde !
En photo : Olivier Ducruix (à droite) et son partenaire de voile Gilles Guyon (à gauche) lors d’une compétition de Handivoile à Hiroshima.