Marie-Amélie Le Fur : « Encourager tous les enfants en situation de handicap à oser se lancer dans la pratique d’un sport »
C’est à la fois une grande sportive, une multi-championne et la représentante de l’une des plus grandes instances du sport international : Nous avons eu la chance d’échanger avec Marie-Amélie Le Fur, quadruple championne du monde de para athlétisme, triple championne paralympique aux Jeux de Londres et de Rio, et présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) depuis décembre 2018. Elle nous raconte son parcours et nous fait partager sa vision du sport au regard du handicap et des grandes échéances à venir.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre handicap ?
C’est un handicap que j’ai acquis à l’âge de 15 ans suite à une amputation de la jambe gauche après un accident de la circulation.
La première chose que j’ai envie de dire sur mon handicap, c’est simplement qu’il a changé ma vie, c’est évident, mais pas forcément dans des termes aussi négatifs que ce qu’on pourrait penser vis-à-vis du handicap. Parce qu’il y a eu des moments durs, la notion de différence est présente, j’ai rencontré des difficultés car porter une prothèse ce n’est pas facile tous les jours… Mais je suis aussi consciente que ce handicap m’a apporté une richesse, richesse de l’esprit, richesse dans les rencontres que j’ai pu faire… Cela m’a offert des opportunités uniques de vivre d’énormes émotions… et c’est tout cela que j’essaie de valoriser au travers des différentes actions je mène en tant qu’athlète et en tant que présidente du Comité paralympique.
Racontez-nous votre parcours sportif : comment le sport est venu à vous et quelles ont été les étapes importantes ?
Le sport n’est pas venu à moi, c’est moi qui suis allée au sport dès l’âge de six ans, sur les conseils de ma grande sœur et sa demande de faire de l’athlétisme. Je l’ai accompagnée dans ce projet étant toute petite. C’est un sport qui, au fil des années, a pris de plus en plus de place dans ma vie, et que j’adorais à l’adolescence et ce pour plusieurs raisons : parce que j’étais en situation de réussite dans ce sport, j’avais un très bon niveau sur certaines disciplines et j’appréciais de pouvoir me dépasser ; et parce que socialement cela me permettait aussi d’être bien insérée, d’avoir énormément d’amis, et de créer un lien social différent de celui que je pouvais avoir au collège et au lycée, vu que ce n’était pas orienté vers les mêmes personnes.
Du coup, lorsque j’ai eu mon accident, à l’âge de 15 ans, c’était plus qu’une évidence : j’avais un besoin indispensable de reprendre le sport, parce que cela me permettait de renouer avec ma vie d’avant, c’était quelque chose qui faisait partie de mon ADN… et parce que je suis incapable de vivre sans sport, pour l’aspect social que cela apporte mais aussi pour le fait de toujours mieux connaître son corps et le challenger. Donc c’est vrai que le sport m’a été très utile pour me reconstruire moralement et physiquement après cet accident.
J’ai commencé par une première phase de rééducation avec la vie de tous les jours, le réapprentissage de la marche et de l’autonomie. Et quatre mois plus tard, j’ai eu la chance, par un système de circonstances positives et de bonnes rencontres, de pouvoir reprendre le sport.
Quatre mois… cela peut sembler rapide !
Oui… Cela a été relativement rapide, parce qu’on avait vraiment, avec mon entourage, cet objectif en tête. On y croyait, on ne s’est pas démontés lorsque des médecins nous ont dit que ce n’était pas possible, lorsqu’on n’a pas trouvé de structures à proximité… j’avais aussi la chance d’avoir à mes côtés mes parents qui étaient aussi déterminés que moi et qui m’ont beaucoup aidée. Nous avons essuyé pas mal de refus jusqu’à rencontrer les bonnes personnes.
En effet, on est tombés sur le tournage d’un film où j’ai pu devenir la doublure de l’actrice principale, ce qui m’a permis d’avoir ma première prothèse de course. Et puis, après cette expérience, j’ai rencontré une présidente de club extraordinaire qui m’a ouvert les bras de sa structure pour me permettre de pratiquer l’athlétisme à proximité de chez moi. Mon entraîneur de toujours, depuis mon passage chez les sapeurs-pompiers – avec qui j’ai également fait des compétitions – a lui aussi accepté de relever le défi d’entrer lui dans le monde du handicap via mon histoire. Derrière c’est une très belle aventure humaine qui s’est nouée avec toutes ces personnes, et qui m’a permis, petit à petit, de participer aux championnats du monde handisport de para athlétisme, de devenir championne du monde, et par la suite de devenir championne paralympique.
J’ai eu la chance que le deuil et le cap mental de l’acceptation du handicap se fassent assez facilement. C’est vraiment dû à la force de mon entourage et l’écosystème très positif dans lequel j’ai évolué… qui m’ont permis de ne pas sombrer dans les moments difficiles. C’est aussi lié au fait que mon handicap est intervenu quand j’étais relativement jeune, à 15 ans, à un moment où j’avais une forme d’insouciance vis-à-vis du handicap. Je pense que je ne me suis pas posé les mêmes questions qu’un adulte qui aurait vécu cette situation. Je ne me suis pas mis de barrière et je n’avais pas de préjugés particuliers. J’avais de l’envie et je ne voyais pas pourquoi mes projets sportifs ne seraient plus possibles à cause du handicap.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le sport que vous pratiquez ?
Le fait de me dépasser, de toujours défier mon corps, d’aller chercher les choses plus loin et d’arriver à maîtriser des éléments que je ne maîtrisais pas avant : me dire que j’ai réussi quelque chose alors que je ne m’en croyais pas capable.
Après il y a aussi l’adrénaline de la compétition, que l’on peut partager avec ses proches, ce qui est juste unique… et les émotions que je ressens aux Jeux, je ne les ressens dans aucun autre cadre.
Que représente le sport pour vous aujourd’hui ?
Un moteur. Une ambition. Et du bonheur. C’est un moteur parce que le sport, finalement, au travers des objectifs que je me fixe, me permet de toujours me donner des challenges, de me requestionner, d’aller chercher des compétences complémentaires. C’est un booster car au travers du sport je fais énormément de rencontres, y compris avec des personnes qui n’ont pas des parcours faciles, mais qui vraiment apportent des richesses à l’état pur. Le sport ça représente tout ça et c’est surtout quelque chose que j’aime. C’est aussi cela que j’ai envie de remettre dans la vie de tous les jeunes en situation de handicap, dès l’instant où ils en ont envie ou besoin, parce que je pense que c’est essentiel pour être dans une dynamique positive, pour sortir des préjugés et stéréotypes que la société nous renvoie quand on est en situation de handicap. Cela permet de mieux se connaître, d’aller toujours plus loin, de ne pas se réduire à la notion : « Je suis une personne handicapée ». Non ! « Tu es d’abord un jeune sportif, et effectivement tu es en situation de handicap ». C’est notamment pour faire passer ce message que j’ai pris les fonctions de présidente du Comité paralympique. Pour moi le sport est un outil extraordinaire pour voir le handicap différemment.
Quel est votre rôle au sein du Comité paralympique ?
Présider le Comité paralympique repose sur de multiples aspects, tout comme le rôle du Comité paralympique lui-même.
Sa première mission consiste à organiser et à emmener la délégation française aux Jeux paralympiques d’été et d’hiver. Cela englobe donc un volet important sur la notion du haut niveau et de la performance. Il y a aussi un volet essentiel concernant les relations avec les instances nationales et internationales sportives.
Via l’ensemble des fédérations qui sont membres du Comité paralympique, la seconde grande mission du Comité paralympique vise à travailler sur le développement de la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap. Cela peut se faire en conseillant et accompagnant les fédérations, et plus largement en travaillant sur le rayonnement du mouvement paralympique et sa connaissance sur le territoire français.
Quels vont projets et/ou objectifs à présent ?
Concernant la présidence du Comité paralympique, mon ambition est vraiment que l’on réussisse les prochains Jeux, 2020, 2022 et 2024. Mais c’est aussi toujours de ramener le sport dans le quotidien des jeunes en situation de handicap, car c’est le défi dans lequel je me suis engagée depuis plusieurs années et pour lequel je continue à me mobiliser à travers le prisme du Comité paralympique aujourd’hui.
Du côté de l’athlète que je suis encore, j’ai en ligne de mire les Jeux paralympiques de Tokyo sur la longueur, avec comme objectif clair dans ma tête la médaille d’or et pourquoi pas le record du monde.
Notre dossier est consacré au thème sport et handicap au sens large. Souhaitez-vous dire quelque chose en particulier par rapport à ce thème ?
J’ai envie d’encourager tous les enfants en situation de handicap à oser. Oser pousser les portes des clubs sportifs de proximité, oser bousculer les stéréotypes sur la question du sport et du handicap en France, bousculer la perception des professeurs de sport, des médecins, des parents qui estiment qu’un jeune en situation de handicap est toujours trop fragile pour faire du sport… ce n’est pas vrai ! Nous avons énormément de moyens d’adapter la pratique sportive, de la rendre possible, ludique. Et n’oublions pas que les enfants apprennent à se connaître et à vivre ensemble pas forcément en cours de maths mais surtout en cours de sport. Donc arrêtons les dispenses pour les jeunes en situation de handicap.
En France on se heurte encore à beaucoup de freins, notamment mentaux, de peur de mal faire… Il faut qu’on parvienne à donner toutes les clefs de lecture à ces personnes, qu’on arrive à outiller réellement les professeurs et l’Éducation nationale pour qu’il y ait du sport-handicap à l’école. Il est important aussi qu’on continue à sensibiliser les jeunes du milieu ordinaire sur ce qu’est le handicap et sur le fait d’avoir des camarades en situation de handicap. Ce sont des chantiers sur lesquels on doit vraiment agir pour faire en sorte que la place de la personne en situation de handicap dans la société évolue dans les prochaines années.
Pour nous, le sport est un outil qui doit servir la société, l’accessibilité, la personne en situation de handicap… et on peut l’utiliser dans toutes ses composantes : haut niveau, développement, présence sur les territoires…
Un petit mot sur les Jeux paralympiques, les prochains et ceux de 2024 ?
Les prochains Jeux paralympiques sont en train de se construire petit à petit. On espère que les résultats de l’équipe de France seront à la hauteur des attentes. Il y a vraiment une dynamique positive qui se met en place pour accompagner au mieux les sportifs vers la haute performance. On a eu pendant très longtemps une balance qui était largement en déséquilibre entre le monde olympique et paralympique. Ce déséquilibre est toujours présent, mais plus le temps passe et plus nous avons des conditions de performance qui sont facilitées pour nos sportifs, et on espère que cela paiera dès les Jeux de 2020.
Pour 2024, le chantier est beaucoup plus grand car nous n’avons pas simplement à construire la performance et le résultat sportif. Il y a aussi à construire l’héritage de ces Jeux à créer avec l’ensemble des parties prenantes. Il faut que ce soit un spectacle pour tous, que l’on partage, et qui révolutionne la condition du salariat de la personne en situation de handicap, le bénévolat, l’accessibilité à la pratique et aux structures, la notion de spectateur en situation de handicap… Il y a ainsi de nombreuses questions que nous voulons voir évoluer grâce à l’accueil des Jeux paralympiques et olympiques en 2024. Les enjeux sont multiples, plus grands, et vont au-delà de la simple compétition sportive même si l’aspect sportif de ces Jeux restera bien sûr une dimension essentielle avec des sportifs français qui devront être en capacité de performer et d’être une vitrine très positive.
Que pensez-vous des inquiétudes soulevées par l’accessibilité de la ville de Paris ?
Il y a effectivement différentes difficultés par rapport à l’accessibilité. La plus crispante est certainement l’accessibilité du métro : ce sera très compliqué pour nous s’il n’y a aucun chantier d’accessibilité posé sur ce métro parisien. Nous voulons des Jeux qui soient durables, verts, qui révolutionnent la mobilité de tout le monde, mais il faut aussi que cela permette de révolutionner la mobilité des personnes en situation de handicap à Paris… il faut donc vraiment qu’on agisse sur cette question-là. On sait que les discussions sont relancées notamment sur le métro historique, et que les jeux vont garantir la sortie de nouvelles lignes totalement accessibles. Une attention particulière sera portée sur l’accessibilité du dernier kilomètre pour qu’il soit révolutionnaire, et pensé dans une uniformité de signalisation. Nous allons également devoir faire évoluer l’accessibilité aux stades, car actuellement il est difficile de venir assister à une compétition avec plus d’un seul accompagnateur… une personne en situation de handicap a aussi le droit de partager ce moment avec sa famille ou avec le plus grand nombre.
En photo : Marie-Amélie Le Fur © G.Picout / CPSF
Le palmarès de Marie-Amélie Le Fur
• 4 titres de championne du monde : deux fois en 2011 à Christchurch (épreuves du 100 m et du 200 m), deux fois en 2015 à Doha (400 m et longueur).
• 3 titres de championne paralympique : un à Londres en 2012 (épreuve du 100 m), deux à Rio en 2016 (longueur et 400 m).
• 8 médailles aux Jeux paralympiques réparties sur les Jeux de 2008 à Pékin, 2012 à Londres, et 2016 à Rio.
• 3 titres de championnes d’Europe, en 2014 à Swansea (400 m), en 2016 à Grosseto (400 m) et en 2018 à Berlin (longueur).
Propos recueillis par Caroline Madeuf. Article réalisé en partenariat avec Sport et citoyenneté dans le cadre du colloque « Comment développer la pratique para-sportive et favoriser l’inclusion ? ».