APF France handicap, la France doit appliquer une approche du handicap, fondée sur les droits
Nous avons eu la chance de rencontrer Pascale Ribes, présidente d’APF France handicap. En cette année des 90 ans de l’association, c’était l’occasion de lui poser de nombreuses questions pour mieux la connaître, en savoir plus sur le fonctionnement de l’association, ses combats et ses victoires, sa vision de la politique du handicap en France, sa relation avec les pouvoirs publics et ses perspectives pour faire évoluer la place des personnes en situation de handicap en France. Pascale Ribes a répondu sans concession à toutes nos questions et la lecture de son interview mérite le détour.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours de militante ?
J’ai débuté ce parcours au sein d’APF France handicap en 2000. Un drame familial m’a amené à m’interroger sur le sens de ma vie. À l’époque j’étais avocate spécialisée en droit des affaires dans un gros cabinet et j’avais une très belle carrière. Pour accompagner ma sœur qui souffrait de gros problèmes de santé, j’ai décidé d’y mettre fin. Je me suis aussi beaucoup occupée de ses enfants et ce rythme de vie occupait tout mon temps. À cette période, j’ai rencontré par hasard une ergothérapeute d’APF France handicap. Cette dernière m’a invitée à venir faire bénéficier l’association de mon expérience et de mes compétences professionnelles. C’est de cette façon qu’a débuté ma collaboration au sein d’APF France handicap.
En étudiant les dossiers qui m’ont été soumis, j’ai découvert des situations d’injustice absolument incroyables, que je ne pouvais pas soupçonner. Victime d’un accident très jeune, j’ai été très bien accompagnée par ma famille et tous mes amis. J’ai pris conscience à la lecture de ces dossiers à quel point j’ai été privilégiée.
Je me suis donc mise au service d’APF France handicap grâce à mes compétences d’avocate et en tant que militante, pour une meilleure politique en faveur du handicap.
Lorsque j’ai fini par être quasi permanente à l’association, nous étions en période de travail législatif sur la loi de 2005. C’est à ce moment que nous avons mis en place les Conseils départementaux des Personnes Handicapés, pour lesquels j’ai été élue, ce qui m’a permis d’œuvrer sans relâche sur cette loi. Avec la directrice juridique de l’association, nous avons poussé la loi le plus loin possible. J’ai ensuite présenté ma candidature au CA de l’association.
Je n’ai pas quitté pour autant ma ville d’origine Montpellier, dans laquelle je faisais encore un peu de conseils juridiques et je donnais des cours à l’université. Avec la collaboration de Charles Gardou et l’Université Lyon II, nous avons créé un Diplôme Universitaire « Environnement juridique et social de la personne en situation de handicap ». C’était une période très chargée mais très stimulante.
Pascale Ribes s’est tant engagée au sein de l’association qu’elle est devenue vice-présidente puis présidente d’APF France handicap, depuis plus de deux ans maintenant. Elle fut aussi un temps présidente du (CFHE) Conseil Français de questions du Handicap au niveau Européen, dont elle fait toujours partie.
Dans le cadre des 90 ans d’APF France handicap, Pascale Ribes revient sur les moments forts de ces dernières années.
En 90 Ans AFP France handicap a énormément contribué à faire évoluer les conditions de vie de personnes en situation de handicap, que retenez vous comme combat clé, gagné par l’association ? La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la déconjugalisation de l’AAH. C’est un combat de haute lutte que nous avons mené sur plusieurs dizaines d’années. Je ne peux même pas dire à quand remonte ce combat contre cette injustice, je crois que nous avons commencé à manifester sur ce sujet en 2005, alors même que nous travaillions en alcôve depuis bien longtemps. Nous avions développé un argumentaire et un plaidoyer à destination des pouvoirs publics, qui ne les ont jamais pris en compte. Un pouvoir sourd à nos demandes avec pour cerise sur le gâteau Sophie Cluzel, qui était totalement hostile à la déconjugalisation. Au moment du grand débat, initié par Emmanuel Macron nous avions largement signalé notre mécontentement sur le sujet, soutenu par une majorité de la population civile. Un certain nombre de parlementaires de tous bords étaient aussi en faveur de la déconjugalisation mais à l’assemblée Sophie Cluzel a brandi la technique du vote bloqué et du vote réservé pour empêcher les parlementaires de se prononcer sur la déconjugalisation. À la place, elle introduit un dispositif d’abattement les ressources du conjoint, qui n’avait rien à voir en proportion avec le bénéfice d’une déconjugalisation. Qui plus est, il maintenait la personne handicapée dans une situation de dépendance précaire vis-à-vis de son ou de sa conjointe.
À aucun moment nous n’avons renoncé et la période a joué en notre faveur puisqu’une nouvelle élection présidentielle se présentait. Nous avons alors pu prendre en étau les pouvoirs publics grâce à la révision portée par les Nations-Unies de la CNUDPH. De mon côté, j’ai fait porter ce sujet par les Nations-Unies, puis j’ai alerté les organisations indépendantes que sont le Défenseur des Droits et le CNCPH. Ils se sont tous prononcés en faveur de la déconjugalisation. La société civile était prête et la loi a pu être votée. C’est donc vraiment ce combat que nous avons gagné, malgré une forte hostilité que je retiens comme fait marquant de la vie de l’association. Dans un autre domaine, nous avons réussi à obtenir la condamnation de l’État Français par le Conseil de l’Europe avant la CNH, ce qui a poussé le gouvernement à reconnaître le retard français dans beaucoup de domaines liés au handicap.
Comment mesurez-vous l’influence qu’APF France handicap a sur la société et sur les personnes en situation de handicap ?
Il est difficile de répondre à cette question car il y a plusieurs indicateurs. En ce qui me concerne, je mesure, notamment à travers les combats que nous avons gagnés, le changement de paradigmes qui permet d’ouvrir des opportunités absolument incroyables. Le nombre d’adhérents est certes important, mais il n’est pas le premier critère. Comme toutes les associations nous subissons une perte des adhérents. Ce que nous constatons, c’est une baisse de l’engagement dans la durée comme nous l’avons connu à une certaine époque. C’est à nous de nous adapter à ces nouveaux comportements pour maintenir notre attractivité. Les délégations départementales effectuent un travail remarquable au regard de l’étendue de leur périmètre d’action. Leur mobilisation permet de porter les actions votées au national et d’accroître notre message. Je ne les remercierai jamais assez car ils s’engagent dans des actions d’envergures, parfois coup de poing, qui les exposent.
Chez APF France handicap, nous avons un noyau dur de militants hors pairs sur lesquels nous pouvons toujours compter. Parallèlement, nous développons une stratégie de mobilisation sur les réseaux sociaux. Celle intitulée #MarchesAttaque fut un succès.
Je précise que nous ne lançons pas de mobilisations pour le plaisir, c’est à chaque fois le fruit d’une longue réflexion. Tout cela doit avoir du sens et s’articule pour créer une caisse de résonance pour le handicap. Pour cela, nous devons utiliser tous les moyens de mobilisation qui sont à notre disposition de manière cohérente.
90 ans après sa création, pouvons nous dire qu’APF France handicap l’association majeure du secteur du handicap et une interlocutrice incontournable pour le gouvernement ?
Je ne me suis jamais positionnée de la sorte mais effectivement, nous sommes une force importante, ce qui n’enlève rien au rôle majeur que joue les petites associations. Chacun a son rôle à jouer. La légitimité d’APF France handicap n’est pas à remettre en question mais ce serait aux pouvoirs publics de répondre sur notre position dans l’échiquier du handicap. Mais nous ne pouvons que constater l’intérêt des pouvoirs publics pour l’expertise de notre association. Ils sont amenés à tester avec nous certaines mesures qu’ils envisagent et enterrent le projet si cela ne s’avère pas probant.
Est-ce que dans la préparation de la CNH vous avez votre mot à dire ?
En ce qui concerne la CNH (Conférence Nationale du Handicap), les mesures qui sont annoncées sont le fruit du travail de la CNCPH et pour la dernière en date, de nombreux groupes de travail ont planché sur les thématiques qui ont été annoncées. Bien sûr, APF France handicap en fait partie. Sur chaque thématique, des propositions ont été remises au gouvernement qui a arbitré. Ensuite, nous n’avons plus eu d’informations jusqu’au moment des annonces, que nous avons découvert en même temps que le public et la presse.
La dernière CNH est arrivée dans un contexte un peu tendu, car le gouvernement est allé très vite dans l’étude des propositions et lors de la dernière réunion, on nous a annoncé la date de la CNH quelques jours après. Cela a généré de la frustration auprès des associations et groupes de travail qui ont émis des propositions. Il aurait fallu du temps pour écouter et amender les retours du gouvernement sur l’ensemble des propositions. Et le temps nous ne l’avons pas eu.
De fait, le Collectif Handicaps avait demandé d’avoir un temps d’expression au moment de la CNH. Cette demande émise deux jours avant la CNH ne pouvait pas aboutir car trop tardive et inappropriée. Intervenir avant ou après le président de la République le jour de la CNH n’était pas pensable protocolairement. Cela n’a pas rendu service au Collectif Handicaps et de mon côté je n’adhérais pas à cette démarche.
Au regard de l’histoire d’APF France handicap qui a vu se succéder de nombreux gouvernements, avez-vous vu avec ne serait-ce qu’avec les trois derniers présidents une évolution significative ?
Je commencerai par l’accessibilité qui est une catastrophe. Déjà inscrite dans la loi de 75, cela n’a pas évolué et même pire, nous avons connu une régression avec la loi ELAN dans la partie habitat. Dans d’autres domaines nous avons avancé avec des mesurettes qui sont des plus indéniables, mais nous ne sommes pas dans une approche par les droits. Je prends l’exemple de la PCH parentalité, qui n’existait pas et tout le monde a vu cela comme un plus. Or, la PCH parentalité vient écorner le droit à compensation de toutes les conséquences du handicap, prévu par la loi de 2005. La loi prévoyait une compensation à hauteur de besoins pour chaque personne handicapée. Alors certes, nous n’y sommes pas encore mais de là à dire que la réponse peut être forfaitaire. Il y avait une limite à ne pas franchir, c’est une régression du droit à compensation mis en place par la loi de 2005. Les personnes les plus lourdement handicapées sont les premières à en subir les conséquences et nombre d’entre elles finiront par renoncer à droit
Mais je dois dire que globalement, nous n’avons jamais eu autant d’avancées que ces trois dernières années, mais cela ne va jamais assez loin et certaines menacent les droits acquis comme nous l’avons vu. Certains remaniements réglementaires aboutissent à des aberrations, des non-sens et vont créer de la précarité ou de la vulnérabilité chez les personnes handicapées, simplement parce que les hauts fonctionnaires qui travaillent sur ces textes ne prennent pas en compte le handicap. Nous avons l’exemple avec les contrôles techniques sur les véhicules, qui depuis la dernière modification rendent illégaux les équipements de conduite installés pour compenser le handicap, si ces derniers ne figurent pas sur la carte grise. Et toujours dans le même domaine, l’impossibilité pour une personne lourdement handicapée d’acheter un véhicule à son nom, si elle ne conduit pas elle-même le véhicule. Il y a encore une multitude d’aberrations administratives, qui défient le bon sens et face auxquelles l’administration ne veut rien entendre.
Quels sont d’après vous les droits fondamentaux qui restent à conquérir ou faire évoluer ?
Je dirai tout !!! Notre raison d’être c’est d’arriver à une égalité parfaite dans tous les domaines et tant que les droits ne seront pas également applicables pour tous, notre lutte continue. Je rappelle que la première cause de discrimination en France est le handicap, pour la 6ème année consécutive. C’est donc un problème systémique. Toutes les avancées que nous obtenons ne sont pas basées sur les droits, mais sur le modèle médical et paternaliste et donc limitées. J’irai jusqu’à dire que dans la loi de 2005 il n’y a que le titre qui est juste. Toutes les mesures écrites dans la loi de 2005 sont très en deçà d’une véritable égalité des droits et des chances car sous conditions. La définition du handicap dans la loi de 2005 pose déjà un problème en disant que l’environnement est neutre sur la production du handicap. Cette étroitesse se retrouve ensuite dans les décrets d‘application.
Quels sont les projets d’APF France handicap ?
Nous sommes convaincus que les politiques en faveur du handicap ont plus que montré leurs limites. Nous sommes dans une impasse et il faut donc changer de paradigmes. En fonction de cela, à l’issue d’une conférence qui s’est déroulée lors de notre dernier Congrès sur les enjeux du handicap et la refondation de la politique du handicap, nous avons produit un manifeste qui a largement été plébiscité. En 2025 nous aurons deux anniversaires importants celui des 50 ans de la loi de 75 et celui des 30 ans de la loi de 2005. Nous sommes convaincus qu’il n’y a qu’une approche fondée sur les droits humains qui peut faire changer les choses et nous sommes soutenus en ce sens par le Conseil de l’Europe et l’ONU. Nous allons donc nous appuyer sur les textes internationaux et sur notre manifeste pour lancer dès cet automne 2023 et jusqu’au printemps 2024, les États Généraux d’APF France handicap. Leur objectif est de mobiliser et sensibiliser nos propres acteurs, mais aussi la société civile, les pouvoirs publics, des entreprises et d’autres associations. L’idée, c’est que des propositions émergent et que nous pourrons ensuite les porter devant les pouvoirs publics pour définitivement changer de modèles de société et s’orienter vers une approche par les droits. Je crois que le handicap est vraiment l’affaire de tous et pour défendre une société plus juste et plus solidaire nous avons besoin de tout le monde. Nous sommes, à ce sujet, sur la même ligne que le CNCPH.
A lire aussi :
Pour accompagner le deuil au travail, Empreinte vous aide.
Indemnisation du préjudice d’agrément : éclairage juridique