Découvrez la nouvelle chronique de Lise Witzmann, auteure et créatrice de contenu, certifiée en coaching et praticienne PNL, autiste, mère de quatre enfants neuroatypiques dont un autiste.
J’ai reçu cette semaine cette question intéressante suite à la diffusion de ma dernière vidéo de témoignage. Ceux qui vivent avec des autistes savent à quel point ces derniers peuvent être intensément plongés dans leurs centres d’intérêt. Et cela fait partie des caractéristiques des TSA (Troubles du spectre de l’autisme) mais ce n’est pas pour autant que c’est accepté par l’entourage, ou même par les encadrants professionnels spécialisés, notamment auprès des enfants.
Faire face aux injonctions
La notion de ce qui est « envahissant » est très subjective. Si on considère l’activité d’un autiste avec des yeux de neurotypique (non autiste), avec le mode de fonctionnement et la culture des neurotypiques, avec les normes sociales des neurotypiques, l’activité sera systématiquement vue comme envahissante.
Car, je cite, « il n’est pas normal que ton fils ne sorte jamais ! Il n’est pas normal qu’il passe des heures par jour sur son écran ! Il n’est pas normal qu’il préfère le bolduc de ses paquets cadeaux à la compagnie des enfants de son âge ! Il n’est pas normal qu’il regarde le même dessin animé dix fois par semaine ! »
Tout cela est rapidement suivi de : « Il faut lui faire découvrir d’autres choses, il faut varier ses activités, il faut aussi qu’il s’aère et qu’il passe du temps en famille, il ne faut pas qu’il devienne asocial, il faut qu’il sorte de temps en temps de sa bulle et qu’il revienne sur Terre ! » Etc.
S’il adore le sport on va lui dire d’en faire moins car ça devient une obsession, s’il n’aime pas le sport on va lui dire d’en pratiquer un car il faut qu’il sociabilise.
Car on est très convaincus que le meilleur mode de vie est de pratiquer un peu de tout, avec parcimonie, sans « excès ». Sauf si vraiment votre enfant autiste sort du lot au point de se montrer « un génie », alors il sera admiré de tous.
Mais pour moi, adhérer à ces injonctions c’est nier les individualités, nier ce que chacun est capable d’apporter au monde (même de manière modeste et relative) s’il devient expert d’un domaine, c’est nier le bonheur de se sentir nourri en ayant tout le loisir de creuser un sujet passionnant, c’est nier que l’idée d’apprendre un peu de tout chaque jour n’est pas la plus instinctive pour l’être humain et a fortiori pour un autiste, c’est nier que faire ce qu’on aime n’est pas un plaisir coupable mais met des gens heureux sur cette planète et que c’est probablement plus constructif pour le présent et l’avenir que de la peupler de gens déprimés.
Je crois que ces injonctions, d’une part, se basent sur un indice de référence non adapté, comme je l’ai dit, et d’autre part ne sont qu’une somme de jugements sur un mode de vie différent qui pourrait bousculer nos croyances sur ce qui est bien ou mal, sur ce qui fait du bien ou fait du mal. Et cette idée est effrayante.
Abandonner les a priori
Je proposerais de changer de vision et de se centrer uniquement sur le ressenti de bonheur de son enfant, non pas le bonheur qu’on imagine pour lui et son avenir, mais bien celui qui correspond à sa propre définition.
J’invite ainsi à être vraiment présent, attentif et vigilant pour « surveiller » non pas ses activités mais SA jauge SUBJECTIVE de bonheur et d’épanouissement au quotidien. Il s’agit d’abandonner tout a priori basé sur nos propres critères, et de découvrir les critères de notre enfant.
Pour vérifier sa jauge, il est possible de lui demander (s’il est en mesure de verbaliser) « comment se passe ta journée ? Est-ce que tu vis un bon moment ? Qu’est-ce que tu aimes dans ce que tu fais ? » J’ai été si surprise certaines fois, pensant que mon fils s’ennuyait, de l’entendre me répondre « Je m’éclate de ouf ! C’est la plus belle journée de ma vie ! »
Si c’est son intérêt spécifique, il se fera un plaisir de vous en parler de long en large et vous serez rassurés de voir les compétences qu’il met en jeu dans cette activité et surtout à quel point il en est heureux. Et vous découvrirez un peu plus qui il est et ce qui le fait vibrer, je trouve ça précieux. Il se peut qu’il vous demande de le laisser tranquille, car il se régénère dans son monde. Oui, vous avez bien entendu, les autistes se régénèrent dans leur monde et n’ont donc pas besoin d’actes héroïques pour les arracher à leur potentielle prison.
Si l’enfant autiste ne peut pas verbaliser où il en est, il est toujours possible d’utiliser des pictogrammes ou n’importe quel code que vous aurez l’imagination de mettre en place pour lui permettre de vous répondre sur son état de joie, de bonheur, de plaisir.
Pour ma part, j’ai pu constater à quel point oublier les objectifs à long terme et regarder mon enfant vivre au jour le jour m’a permis de lâcher prise sur la crainte de l’avenir. Il a énormément évolué dans un sens que je n’aurais pas imaginé, bien mieux que ce que j’aurais pu l’inciter à faire. Ça m’apprend la confiance en lui et en la vie. Et il apprend à savoir qui il est chaque jour en se basant sur sa jauge de bonheur et crée sa vie sur mesure et non pas sur des normes extérieures inappropriées.
On peut dire à son enfant : « Si à un moment tu sens que ton activité ne te convient plus, je suis dispo, viens me voir on fera autre chose ». Bien sûr on peut toujours lui proposer d’autres activités spontanément, mais, à mon sens, simplement parce que ça nous ferait plaisir de les partager avec lui, pas pour le tirer de ses intérêts spécifiques…
Faire le point sur nos propres peurs et inquiétudes
La bonne question à se poser reste : « Qu’est-ce qui m’inquiète, moi parent ou éducateur, qu’est-ce que ça touche en moi ? Est-ce que j’ai peur du jugement des autres sur mon rôle ? Est-ce que j’ai peur que cet enfant ne puisse pas être heureux plus tard et que je sois responsable d’avoir failli à ma mission car il est impossible de revenir en arrière ? »
Ces questions nous appartiennent et sont toujours légitimes. Il me semble bon de leur faire toute la place pour qu’elles soient entendues, considérées, pour trouver des pistes pour apaiser nos craintes et peut-être bien aussi faire la paix avec notre propre passé. C’est utile de réaliser qu’il s’agit de nos propres peurs, des projections de nos peurs et de nos émotions, basées sur notre histoire de vie et nos croyances.
Il arrive souvent que les centres et les professionnels de santé cherchent de manière plus ou moins masquée à rendre le comportement de l’enfant autiste le plus conforme possible au comportement attendu d’un adulte non autiste plus tard. Ils sont persuadés qu’ainsi cela fera des adultes adaptés à la vie en société. Ce qui ne sera pas vérifié puisqu’on les perd de vue dès qu’ils sont adultes : vous avez remarqué comme on parle énormément de l’accompagnement des enfants autistes mais qu’il existe si peu de choses pour les adultes autistes qui ne sont pas admis en structure car « trop adaptés » mais « pas assez adaptés » pour vivre seuls ?
Personnellement, je préfère voir un autiste qui reste enfermé chez lui adulte et qui kiffe sa vie plongé dans ses intérêts spécifiques, plutôt qu’un autiste qui a appris le comportement correct social exigé, qui est malheureux car il/on a nié qui il était vraiment sans respecter sa façon à lui d’être heureux, et qui ne sait pas comment vivre au quotidien avec ça.
Alors, bonne rencontre de cœur à cœur avec votre enfant ou peut-être avec vous-même !
Lise Witzmann
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