Les enjeux des Paralympiques de Tokyo examinés sous le regard de Jean Minier, responsable de la délégation française.
À l’occasion de notre dossier sur les Jeux paralympiques, nous avons rencontré Jean Minier, le responsable de la délégation française aux prochains Jeux Paralympiques de Tokyo.
Jean Minier, Directeur des Sports du Comité Paralympique et Sportif Français, est enseignant en EPS de formation. Il a officié durant presque 30 ans pour la FFH, d’abord en qualité d’entraîneur national de para athlétisme, puis en tant que Directeur des équipes de France et Responsable du haut niveau pour devenir Directeur Technique National de 2009 à 2017. Son excellente connaissance de l’écosystème sportif et des Paralympiques, son travail quotidien avec les fédérations et son expertise sportive confèrent à Jean Minier toute la légitimité d’exercer la fonction de Chef de Mission. Pour la petite histoire, Jean Minier était présent aux Championnats du Monde IAAF à Tokyo en 1991 avec trois athlètes en fauteuil roulant. Espérons que cet anniversaire de 30 ans porte chance à la sélection française.
Le handisport est-il un mouvement qui prend toujours plus d’ampleur en France ?
Tout d’abord sur le plan sémantique, du fait de l’évolution du paysage sportif, nous avons plutôt tendance à parler aujourd’hui de para-sport bien que ce terme soit d’origine anglo-saxonne. Le «para-sport » ne couvre en effet plus uniquement les sports de la Fédération Française Handisport. Je prends l’exemple de l’aviron ou du canoë qui sont gérés désormais par les deux fédérations correspondantes et devenu du para-canoë ou du para-aviron, le judo c’est du para-judo… Le sport adapté qui s’adresse aux personnes handicapées mentales n’est pas non plus du handisport. Le revers de la médaille, c’est que le para-sport est avant tout connu par le biais des Jeux Paralympiques et de façon récente. De fait, la pratique sportive par des personnes en situation de handicap est souvent assimilée à du sport de compétition. Ce n’est en fait pas cohérent par rapport à la demande car les personnes en situation de handicap suivent la courbe de pratique du sport de tous les citoyens. Désaffection pour la compétition et souhait pour une pratique de proximité libre, avec le moins de contraintes possibles. Comme ce sont les sportifs de haut niveau qui ont fait médiatiser le handisport, on a eu tendance à focaliser sur la compétition. À la Fédération Française Handisport, sur 30 000 licenciés, on ne compte guère plus de 7000 compétiteurs toute disciplines confondues. La pratique d’un sport devient de plus en plus quotidienne pour les français, même si nous ne sommes pas un peuple très sportif au regard de nos voisins anglais. Le maillage de clubs ouvertement « handi-accueillant » reste malheureusement assez faible comparé au public ordinaire.
Les personnes en situation de handicap se privent-elles de faire du sport ?
Il y a encore des personnes paraplégiques dans notre pays, qui, de façon très étonnante, pensent qu’elles ne peuvent plus nager. Il y a encore des personnes hémiplégiques qui, à plus de 30 ans, découvrent que leur handicap leur permet de faire de la compétition dans le monde paralympique. Cela signifie qu’il y a encore un déficit de communication. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine et je suis de ceux qui pensent qu’il existe aussi un vrai déficit de sensibilisation au sport dans le circuit scolaire, et c’est encore plus vrai pour les personnes en situation de handicap. Or, les professeurs d’EPS sont des accélérateurs de la pratique sportive, et s’ils ne voient pas les enfants en situation de handicap, ils ne peuvent pas déceler les capacités propices à une carrière sportive. C’est l’une des explications de la sélection française pour les Paralympiques de Tokyo, principalement composée de personnes avec un handicap acquis alors que la majorité des personnes handicapées en France le sont de naissance.
L’effectif des compétiteurs de para-sport en France est-il d’après vous suffisamment étoffé ?
Le principal problème de la compétition en France c’est le manque de compétiteurs et la dispersion de ces compétiteurs dans des catégories de sexe, d’âge, de handicap et d’épreuves. Pour vous donner un ordre d’idée, l’athlétisme, qui est la discipline qui octroie le plus de médailles au Jeux paralympiques (160 épreuves sur les 530 des Jeux) ne représente que 300 compétiteurs en France (99 départements NDLR). Et ils sont dispersés sur les deux sexes et sur X catégories de handicap et d’épreuves. À l’échelon régional, il n’est pas rare de se retrouver seul dans sa catégorie. C’est donc très difficile de construire un parcours de compétition qui soit motivant à l’échelle nationale. Marie-Amélie Le Fur, si elle n’avait pas eu un très fort caractère, une pratique antérieure de l’athlétisme et une volonté chevillée au corps, ne serait pas allée loin car elle était la seule en France dans sa catégorie à faire du saut en longueur et de la course. La Fédération fait ce qu’elle peut mais n’a guère de chance d’offrir plus de 3 ou 4 compétitions dans l’année à ce niveau avec toujours les mêmes adversaires de votre catégorie. Ce que je dis en athlétisme est vrai pour la quasi totalité des sports, en dehors du basket fauteuil. J’ajoute que tous les pays connaissent ce type de difficultés, ce n’est pas une exclusivité française. Certains pays comme la Tunisie ont fait le choix de n’investir que dans un ou deux sports pour avoir une vraie compétition nationale. Malgré ces difficultés structurelles, la France reste un pays qui brigue le Top 10 des nations paralympiques et parmi les 5 pays à engager le plus grand nombre de disciplines, ce qui est une fierté (19 sports sur 22). L’apparition, il y a deux ans, de l’Agence Nationale du Sport, a permis de faire évoluer le haut niveau et nous place sur une trajectoire cohérente de stratégie sportive pour les prochains Jeux Paralympiques. Pour aller plus loin, il faudrait mettre en place un dispositif de détection ciblée afin de mettre en adéquation les personnes et leur handicap avec une discipline précise. Mais ce n’est pas le choix de la France.
Est-ce que les sportifs victimes d’accident deviennent plus rapidement et plus facilement des athlètes handisports de haut niveau ?
Effectivement, le monde des paralympiques est atypique en cela que l’on peut avoir des sportifs comme Joël Jeannot, accidenté en Martinique venu se rééduquer en Métropole… et comme il mesure 1m92 et qu’il est très costaud, il est passé du statut de sédentaire au statut de sportif de haut niveau en 3 ans. C’est pourtant quelqu’un qui n’avait pas une grande culture sportive et il a terminé avec un parcours exemplaire. Il nous arrive d’avoir des sportifs de haut niveau, qui dans le début de leur carrière de haut niveau n’ont pas suivi la trajectoire linéaire que peuvent connaître les sportifs olympiques, ils l’acquièrent plus tardivement. Ensuite, le sport paralympique, ce n’est pas un milieu très juste, ce n’est pas l’ancienneté de votre handicap qui vous donne plus de chance, bien au contraire. C’est le cas pour le judo, qui assimile tout le monde, quel que soit le handicap. Pour une personne aveugle de naissance, l’apprentissage technique est si ardu qu’elle n’a presqu’aucune chance d’arriver au haut niveau. Celui qui est né non-voyant n’a presqu’aucune chance y compris dans la catégorie des non-voyants car c’est très complexe. Il faut aussi rappeler que, d’une façon générale, beaucoup n’auront jamais la capacité de faire du haut niveau, ce qui fut mon cas personnel.
Malgré les minimas internationaux, est-ce qu’en France vous avez des prétendants dans toutes les disciplines pour ces Jeux Paralympiques de Tokyo ?
Pas pour les 160 épreuves d’athlétisme des Jeux paralympiques de Tokyo, nous en avons pour 40 épreuves au maximum.
La reconnaissance financière des athlètes de haut niveau est-elle suffisante ?
Il n’y a effectivement pas de sport professionnel dans les paralympiques. Le sport dans lequel on gagne un peu d’argent c’est le tennis, mais pas suffisamment pour en vivre. Les sportifs paralympiques sont toutefois logés à la même enseigne que la plupart des sportifs olympiques. L’argent n’est pas un moteur mais n’est pas un frein non plus. Les dispositifs d’aides mis en place par le Ministère des sports et l’Agence Nationale du Sport offrent une aide financière et la possibilité d’un emploi aménagé qui ne sont pas discriminants. L’Agence Nationale du Sport a même décidé que tous les sportifs médaillables aux Jeux devaient bénéficier d’un minimum vital de revenu annuel de l’ordre de 40 000 euros pour pouvoir se consacrer à plein temps à leur sport. L’Agence Nationale du Sport compense donc les revenus des sportifs médaillables qui sont en dessous du niveau. En théorie, il n’y a plus un athlète en position de gagner une médaille – handicapé ou non – qui ne gagnera pas au moins 40000 euros par an.
Les entraineurs Français sont-ils au niveau de performances internationales ?
Oui, ils ont le niveau car les athlètes français se portent bien avec des ambitions plus importantes que pour les Jeux de Rio. Le Ministère des sports et l’Agence Nationale du Sport mènent un grand programme de professionnalisation pour donner à ces entraineurs un statut qui leur permette de se consacrer pleinement à la tâche d’encadrement et de formation.
Quelles sont les plus grandes contraintes liées à votre mission ?
La première des contraintes c’est la logistique car il y a énormément de matériel. C’est d’autant plus complexe cette année, dans un contexte Covid qui fait que notre partenaire Air France ne propose plus qu’un vol quotidien vers Tokyo au lieu de 3 ou 4 précédemment. Lorsqu’il y a 30 personnes en fauteuil roulant (y compris fauteuils électriques) à faire entrer dans un avion, c’est aussi beaucoup de contraintes pour les autres passagers. L’autre grande contrainte est aussi liée au Covid. Les athlètes ne doivent pas arriver plus de 5 jours avant leurs épreuves et repartir 2 jours après au maximum. Cela représente pour nous une dizaine de vols ou de lieu de 3 ou 4. Nous avons aussi une importante coordination médicale à mettre en œuvre sur place pour prendre en compte la singularité de l’ensemble des pratiquants qui seront tous victimes du décalage horaire. Le temps là-bas est chaud et très humide, ce qui est une difficulté pour tous ceux qui ont des problèmes de peau. Mais nous avons dans notre sélection une grande diversité de pathologies physiques et mentales. Nous leurs souhaitons tous une belle destinée Olympiques.
Côté communication, qu’attendez-vous ?
Ce que j’appelle de mes vœux, c’est que la médiatisation de nos athlètes donne à chacun la possibilité d’être reconnu pour permettre aux jeunes et moins jeunes en France de se projeter et se reconnaître dans leur situation et ainsi créer des vocations.
Quelles sont les ambitions de la France pour les Paralympiques de Tokyo ?
Nous avons une ambition de médaille dans chacun des 19 sports que nous représentons. Mais le classement des nations se fait sur les médailles d’or et comme certains pays mettent tous leurs moyens sur trois ou quatre disciplines, ils peuvent passer devant nous au classement avec seulement quatre athlètes. L’autre problème lié à la crise sanitaire, c’est que nous ne savons pas comment l’adversité s’est préparée. Nous avons eu 28 médailles à Rio, 42 médailles aux Jeux de Londres, et à Tokyo nous ambitionnons un plancher de 35 médailles. Nous souhaitons repartir sur une trajectoire ascendante pour atteindre 45 médailles aux Jeux de Paris en tant que pays organisateur digne de ce nom. Pour l’instant, le pronostic des médailles d’or est encore très compliqué à faire. Ce que l’on sait, c’est que la Chine sera en tête du classement des nations. Aujourd’hui, malgré la crise, aucun désistement officiel d’un pays n’est heureusement annoncé. De mon côté, j’espère que les pays africains seront présents sinon ce serait vraiment triste.
Quel est l’effectif global pour la France ?
Il y a 150 athlètes pour 250 personnes au total ce qui est un peu plus qu’à Rio.
Plus d’infos sur la délégation française des Jeux Paralympiques de Tokyo : https://france-paralympique.fr/
En photo : Jean Minier, responsable de la délégation française aux prochains Jeux Paralympiques de Tokyo ©Y. Kellerman – CPSF