Juliette souffre de troubles obsessionnels compulsifs, aussi appelés TOC. Atteinte de la phobie d’impulsion, elle nous raconte la souffrance que cela engendre au quotidien et les solutions qui existent aujourd’hui.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Juliette, j’ai 22 ans et je suis étudiante. Je souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). En ce qui me concerne, j’ai eu un TOC particulier qui s’appelle la phobie d’impulsion. Cela se traduit par la peur de faire du mal aux autres ou à soi-même, ou encore d’avoir des excès de violence et de perdre la tête, sans aucune raison spécifique.
Qu’est-ce qu’un TOC exactement ?
Le TOC n’est pas une maladie mentale. C’est un trouble psychiatrique.
Le TOC possède un mécanisme particulier.
Tout d’abord, on a les obsessions. Ce sont des pensées qui viennent automatiquement, comme “je suis folle”, “je vais tuer quelqu’un” etc. Puis, on a les compulsions. Ce sont les pensées et les automatismes que l’on met en place pour se soulager, éviter d’avoir peur, se rassurer. Les compulsions vont de paire avec les obsessions.
À savoir que les choses qu’on voit souvent à la télé, comme les gens qui font le ménage, ce sont des compulsions visibles. Mais il existe des compulsions qui ne sont pas forcément visibles. Par exemple, moi je me récitais l’alphabet en boucle dans ma tête et ça personne ne peut le savoir. Il y a aussi les évitements, que l’on met en place pour ne pas avoir à se confronter à une situation. Mais tout ça se met en place progressivement.
Les TOC peuvent toucher n’importe qui ?
En théorie, oui. Les facteurs sont multiples. Ils peuvent être biologiques, génétiques ou environnementaux. Mais généralement, je pense qu’il y a surtout des prédispositions. Des personnes qui ont, par exemple, reçu une éducation assez stricte. L’éducation est une cause récurrente. En ce qui me concerne, je n’avais pas forcément la place pour exprimer ma colère à la maison. Je l’ai associée à quelque chose de mauvais et je gardais toujours tout pour moi. J’ai dû refouler une forme d’agressivité et les TOC ont été une sorte d’explosion de toutes ces émotions. Après, je parle de mon cas personnel, je sais que pour les autres il peut y avoir aussi d’autres causes. D’où l’importance de faire un travail de fond avec un psy.
Comment votre phobie d’impulsion est apparue pour vous ?
Vers mes 15/16 ans j’ai commencé à me sentir mal, mais je n’arrivais pas à expliquer d’où venait mon mal-être. J’étais victime de harcèlement scolaire au collège et je pense que ça a grandement participé au déclenchement de mon TOC. En effet, il y a souvent un événement déclencheur. J’étais très anxieuse. Puis, petit à petit, j’ai eu des pensées obsessionnelles qui revenaient tout le temps. Par exemple, quand je me trouvais à table avec ma famille et qu’il y avait un couteau à côté de mon assiette, je me disais : “Et si jamais je prends ce couteau et que je commets l’irréparable ? Et si j’en venais à poignarder mon père ou ma sœur ?”.
Pour une personne lambda, ce sont des pensées qui viennent, mais qui ne vont pas s’accrocher à l’esprit. Elles vont juste partir comme elles sont venues. Alors qu’une personne qui est atteinte d’un TOC, va avoir cette pensée qui va s’incruster dans son esprit, jusqu’à ce qu’elle soit convaincue qu’il s’agit de la réalité. Personnellement, il y avait des moments où j’étais persuadée que je pouvais commettre l’irréparable sur mes proches ou sur moi-même.
L’individu qui a un TOC a comme un filtre devant les yeux. Il perçoit les choses différemment parce que sa pensée est très proche de la réalité. En revanche, à la différence d’une personne qui est vraiment atteinte d’une maladie psychiatrique, la personne qui a un TOC a conscience de l’aspect moral de la chose. Il ne veut pas passer à l’acte, il en a peur.
Je vous parle de mon cas avec la phobie d’impulsion. Il s’agit d’un TOC particulier. Mais, il en existe plein. Certaines personnes vont avoir le TOC de la propreté et tout nettoyer constamment, en se persuadant qu’elles vont tomber malades ou qu’elles le sont déjà. D’autres vont avoir peur d’être attaquées, etc.
Vous nous dites que la frontière entre la pensée et la réalité est floue. Cela veut-il dire que la personne peut passer à l’acte ?
Il ne se passe jamais rien avec quelqu’un qui a un TOC (même si, bien sûr, toute personne est capable de commettre un crime). En principe, même si la personne se sent capable de commettre un acte immoral, en réalité elle en a tellement peur qu’elle va tout faire pour éviter la situation. Finalement, la personne s’enferme juste dans la souffrance.
Qu’est-ce que cela a changé dans votre quotidien ?
Quand j’avais un TOC, c’était très compliqué à vivre parce que j’étais dans un mal être constant et permanent. Les moments où j’allais le plus mal sont quand je me retrouvais seule avec une personne, ou encore si j’avais entendu l’histoire d’un fou à laquelle je m’identifiais automatiquement. Cela pouvait provoquer des crises d’angoisses ou autres.
Au quotidien, je faisais attention à ce qu’il n’y ait pas de choses dangereuses autour de moi, que je puisse utiliser contre les autres. Par exemple, je mettais toujours des couteaux ronds à table. Quand je traversais un pont, je faisais attention à ce que la personne ne soit pas à côté de moi de peur de la pousser. Je ne me mettais pas derrière le conducteur dans une voiture, car j’avais peur d’étrangler la personne devant moi. Comme ça, au moins, j’éviterais de faire un accident. Un autre point est que je m’empêchais absolument d’être seule avec une personne. Surtout que ça ne me le faisait qu’avec les personnes que j’aimais le plus. Cependant, les évitements ne sont absolument pas une solution car ils renforcent le TOC.
Dans les études, on est moins concentré. C’est difficile de fixer son attention quand on a la tête qui bouillonne. J’ai eu une dépression, j’ai été sous médicaments, j’étais très fatiguée.
Cela a-t-il perturbé vos relations sociales ?
Oui, déjà c’est quelque chose qui n’est pas facile à dire. Ce n’est pas forcément très courant, les gens ne connaissent pas. Puis c’est avouer quelque chose qui est complètement banni de la société. J’ai des proches qui ne savaient pas comment réagir, ils trouvaient ça anormal. Et quand on a un TOC et qu’on entend quelqu’un nous dire que c’est bizarre, ça nous conforte dans l’idée que, oui, finalement on est peut-être pas normal, on est peut-être réellement fou ? Surtout qu’une des compulsions consiste à demander des conseils aux proches ou si quand on agit de telle façon c’est normal. C’est pour ça que c’est compliqué. Alors, en parler, oui, mais encore faut-il en parler à des personnes compétentes. Quand j’étais dans cette période-là, je pouvais interpréter tout ce qu’on me disait dans le sens du TOC et me convaincre que j’étais folle.
Existe-il des thérapies, des médicaments ?
Il n’existe pas dix mille solutions, il faut aller voir un psy (psychologue ou psychiatre) pour faire un travail de fond. On appelle ça une thérapie cognitive comportementale (TCC). Il existe aussi des thérapies médicamenteuses pour aider les personnes qui ont un TOC trop présent dans leur quotidien. Cela permet de les soulager de leurs angoisses pour qu’elles puissent, ensuite, travailler avec un psy.
Il faut bien faire attention au choix du professionnel parce que tous les psy ne sont pas formés aux TOC. Puis, ils n’ont pas forcément tous la même approche. Certains travaillent surtout sur le fond et d’autres sur le comportement. Alors que le TOC requiert vraiment les deux.
En quoi consistent ces thérapies ?
La thérapie consiste à exposer progressivement la personne à sa peur, jusqu’à décrédibiliser sa pensée. Évidemment, si la personne a peur de tuer, on ne va pas la mettre tout de suite en face d’un couteau. La personne repartirait juste traumatisée et cela ne mènerait à rien. À la fin, la personne doit être capable d’accepter ses pensées et se rendre compte de l’inutilité de ses compulsions.
Permettent-elles de se débarrasser définitivement du TOC ?
Je dirais plus que c’est un moyen pour vivre mieux avec. Bien sûr, le TOC peut partir définitivement. Mais il peut aussi revenir. Cependant, après une thérapie cognitive comportementale, on est censé être capable de gérer la situation et le TOC devrait être beaucoup moins fort.
Est-ce héréditaire ? Y a-t-il d’autres cas dans votre famille ?
Honnêtement, je ne sais pas si c’est héréditaire mais il peut y avoir des prédispositions génétiques. Par exemple, dans ma famille, nous avons tous tendance à être anxieux et mon père a déjà eu des pensées obsessionnelles.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Pouvez-vous vivre comme n’importe qui ou est-ce que cela vous limite dans certaines activités ?
À l’heure actuelle, je n’ai plus de TOC a proprement parler, mais j’ai souvent des pensées obsessionnelles qui reviennent. Par rapport à la peur de faire du mal, cela revient de temps en temps mais ce n’est plus aussi important qu’avant.
Aujourd’hui, je vis comme tout le monde mais je dois quand même faire attention à ma santé mentale. Le problème du TOC, c’est qu’à partir du moment où il s’est déclenché une première fois, c’est compliqué d’en sortir totalement. Pour ma part, j’essaye de faire de la relaxation régulièrement, de prendre soin de moi et de mon esprit pour éviter de retomber dedans.
Avez-vous des conseils pour bien vivre ses TOC ?
C’est une évidence, mais allez voir un psy. Puis, essayer de comprendre vos pensées ou de mettre vos ressentis à l’écrit. Quand on est dans la souffrance, essayer de comprendre c’est déjà faire quelque chose de constructif.
Courage, c’est un long processus et il faut s’accrocher, mais on en guérit !
Pour en savoir plus sur les TOC :
Site internet de l’Association Française de Personnes souffrant de Troubles Obsessionnels et Compulsifs : http://www.aftoc.org/
Propos recueillis par Angèle Duplouy
Une réponse
J’ai 58 ans. Mon premier toc est apparu à l’âge de sept ans. Je n’avais 31 lorsque un psychologue-psychiatre a mis un nom a mon problème psy. C’est dur, compliqué, parfois incompréhensible mais avec un bon entourage et des bons professionnels, on arrive à VIVRE et en profiter de cette vie…et pourtant, j’ai eu tout sorte des tocs au long de ma vie.