Témoignage de Hyacinthe Deleplace, membre de l’équipe de France Handisport aux Jeux paralympiques de Pékin : « J’ai toujours fait du sport, c’est ma vie et mon éducation »
En photo : Hyacinthe Deleplace et Maxime Jourdan, son guide © Fédération Française Handisport
Hyacinthe Deleplace : Après une carrière sportive de haut niveau réussie en athlétisme handisport, c’est en tant que skieur alpin que Hyacinthe Deleplace vivra sa deuxième expérience des Jeux Paralympiques, à Pékin, avec ses deux guides, Maxime Jourdan et Valentin Giraud-Moine. Rencontre.
Hyacinthe Deleplace, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Hyacinthe Deleplace : J’ai 32 ans. J’habite à Grenoble. Je suis membre de l’équipe de France handisport depuis 2019. J’ai été vainqueur en coupe du monde la saison dernière, et triple champion du monde cette année en descente, super G et super combiné, et médaillé de bronze sur le slalom géant. Je suis en binôme avec mes guides Maxime Jourdan et Valentin Giraud-Moine.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre handicap ?
Hyacinthe Deleplace : J’ai une cataracte congénitale, donc un handicap visuel de naissance. Je vois ce qui est très en face de moi, avec un champ de vision réduit, et je vois à peu près entre 1/20e et 1/10e. Je vois bien en face mais pas sur les côtés. Je tourne la tête tout le temps. J’ai développé une certaine autonomie qui me permet, dans ma mobilité, de me débrouiller et d’être autonome.
C’est aussi grâce au ski, en particulier quand j’étais enfant. Mes parents me laissaient aller presque partout, notamment sur les pistes. Ils ont toujours voulu que je me débrouille tout seul tout le temps, que je fasse les choses comme tout un chacun… et du coup ça m’a vraiment aidé.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre préparation physique ?
Hyacinthe Deleplace : Ce qui est plaisant avec le ski alpin, c’est que de nombreux sports sont complémentaires. Ce qui fait que je pratique beaucoup d’autres sports. Par exemple, l’été, j’ai beaucoup de préparation physique à vélo. Je fais également de la préparation physique en salle, avec un préparateur, Tristan Perdrix. Je fais du trampoline, pour travailler l’équilibre et les repères spatio-temporels. À cela s’ajoutent le footing, la course à pied, parfois la natation… en fait, ce qui est bien avec le ski, c’est qu’on ne s’ennuie pas, même en dehors des pistes, puisque tous les sports peuvent s’y rattacher. À l’inverse, quand je faisais de l’athlétisme, c’était la piste, la salle, la piste, la salle, les gradins… ce qui peut être un peu rébarbatif.
Racontez-nous votre parcours sportif.
Hyacinthe Deleplace : J’ai grandi à l’école du sport. Mes parents ont tout fait pour que je sois comme tout le monde, que je fasse du sport comme les autres : le ski, le vélo… ce qui m’a permis de goûter très vite à beaucoup d’activités. J’ai débuté le ski à l’âge de trois ans et demi. J’ai appris à faire du vélo assez tard, vers 6 ans. Ensuite il y a eu l’athlétisme, qui a occupé une bonne partie de ma carrière sportive professionnelle. J’ai aussi pratiqué des sports collectifs (torball, goalball). J’ai toujours fait du sport, c’est ma vie et mon éducation.
Comment avez-vous décidé de devenir sportif professionnel ?
Hyacinthe Deleplace : C’est venu par le biais de l’athlétisme. J’ai toujours aimé la compétition. J’ai commencé avec l’UNSS, au collège et au lycée. Un jour, on m’a invité à participer à un stage de détection, comme je voulais continuer les compétitions. C’était un objectif alors j’ai suivi tous les conseils qu’on m’a donnés pour progresser et ça s’est fait tout seul. J’ai donc eu une expérience de haut niveau en athlétisme, avec des beaux moments de sport, notamment à Lyon en 2013, lors des championnats du monde d’athlétisme, où j’ai remporté la médaille de bronze ; et mon record personnel sur le 400 m à Londres, avec la foule, forte, et cette ambiance de folie, qui ont fait de ces Jeux un de mes plus beaux souvenirs. Les Anglais aiment vraiment le sport et savent être un bon public !
Plus tard, j’ai suivi les mêmes conseils pour le ski. Je partais d’une base physique plutôt bonne et je m’en suis servi. J’avais le sentiment d’avoir fait le tour en athlétisme, d’avoir bouclé le tour de piste. J’avais besoin de changement et de relever un nouveau challenge.
Et comment êtes-vous devenu skieur de haut niveau ?
Hyacinthe Deleplace : C’est en regardant les Jeux Paralympiques de Sotchi en 2014, juste pour m’intéresser, que je me suis dit : « Wow, c’est génial ! ». En plus étant skieur dans mon enfance, je savais que ces sports me plaisaient et que je pouvais me lancer. J’ai commencé deux ans plus tard, en 2016, peu de temps après avoir loupé la qualification aux Jeux de Rio à cause d’une blessure. Cela a accéléré un peu les choses.
À partir de là, il a quand même fallu travailler pour atteindre le haut niveau en ski. J’ai dû faire le dos rond et réapprendre beaucoup de choses. Les deux premières années n’ont pas été simples, mais une fois que j’ai rencontré Maxime Jourdan, l’un de mes guides, c’est devenu un peu plus simple. J’ai vraiment pu commencer à m’activer en ski et à progresser. Ensuite, j’ai fait la rencontre de Stéfan Sazio, le coach de la relève de l’équipe de France, et avec qui j’ai pu beaucoup apprendre. C’est le premier à m’avoir proposé un suivi à la fédération française. Il m’a donné ma chance et m’a accompagné pour que j’intègre l’équipe de France. Après cela, je me suis fait emmener en coupe du monde. Ça a fonctionné tout de suite et je suis resté.
Hyacinthe Deleplace, pouvez-vous nous parler de vos guides ?
Hyacinthe Deleplace : Au départ, j’ai eu des guides journaliers, et chacun venait avec moi pour une compétition. Ce n’était pas forcément évident. Un jour, je me suis même rendu à une compétition sans guide, dans les Pyrénées. Le matin-même, je ne savais pas encore si je pourrais concourir, mais j’avais mon matériel. Je me suis dit qu’en en parlant aux gens autour de moi, je finirais par trouver quelqu’un… et effectivement ! Une personne m’a dit : « Pourquoi pas ?! ». On a fait la course ensemble et tout s’est bien passé.
Ensuite, j’ai fait la connaissance de Maxime Jourdan, par le biais du Grenoble Université Club, mon club de ski. Le haut niveau n’est pas le plus important, il faut avant tout que la personne sache bien skier, connaisse le fonctionnement des compétitions et sache ce qu’est un slalom ou un géant. Avec Maxime on a commencé comme ça ! Il avait une expérience de la compétition, c’est un passionné Il a eu envie de rendre service à ce moment-là, ça a bien marché et notre projet a pris forme. Plus tard, Valentin Giraud-Moine est venu se joindre à nous. Je ressentais le besoin de trouver un second guide, au cas où il y ait un souci avec mon premier guide, ce qui a été appuyé par mon coach et par la fédération, et puis j’ai eu l’opportunité d’envoyer un message à Valentin. Il a accepté. Après, nous avons dû trouver une organisation, pour que chacun ait sa place et accepte, quelque part, de « jouer un rôle pour moi ». Aujourd’hui les tâches sont divisées : Maxime se concentre sur la technique avec moi, et Valentin sur la descente – il m’apporte son expérience et ses connaissances en vitesse, sachant qu’il a atteint un excellent niveau international en ski, avant de mettre fin à sa carrière en 2017 suite à un accident. Il a aussi réussi le challenge de revenir aujourd’hui à un niveau très bon.
Quel est exactement le rôle du guide ? Quelles sont les règles à respecter ?
Hyacinthe Deleplace : Le guide a pour rôle d’ouvrir la voie, devant moi, déjà parce que je ne vois pas ou peu les portes. Contrairement à ce qui se fait en athlétisme, il n’y a pas de lien car ce serait trop dangereux. On travaille avec une connexion par la voix, avec micro et oreillettes, comme si on se parlait au téléphone. En plus des trajectoires, il m’indique donc les difficultés et je lui fais des retours. Il faut toutefois que ça reste concis, pour que l’on puisse aussi bien se concentrer sur le ski.
Concernant les règles, je n’ai pas le droit de toucher mon guide pour qu’il avance plus vite, ni de passer devant lui, sauf entre la porte d’arrivée et l’arrivée.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les championnats du monde des parasports d’hiver auxquels vous venez de participer ?
Hyacinthe Deleplace : C’était une première pour moi et ça s’est très bien passé avec ces quatre médailles et trois titres. Ça valide un peu tout le travail qu’on a fait jusqu’ici, avec tout le monde, et c’est du positif pour continuer à progresser en vue des Jeux Paralympiques.
Avez-vous tiré des enseignements de cette compétition pour votre préparation ?
Hyacinthe Deleplace : Tout à fait. Il y a des choses à en tirer. On apprend toujours, dans la défaite et même dans la victoire. Le slalom où j’ai fini 5e, reste un challenge, et il faut savoir reconnaître qu’on ne peut pas toujours gagner partout. Chaque compétition est très différente et je sais que j’apprendrai encore beaucoup à chaque fois.
Quant au collectif, il a grandi peu à peu et aujourd’hui on a l’une des plus grosses équipes du circuit. Du coup, cela crée vraiment une émulation dans le groupe, toutes ces performances, ces entraînements qu’on fait ensemble, cette vie commune car on passe vraiment beaucoup de temps ensemble.
Hyacinthe Deleplace, que représentent les Jeux Paralympiques pour vous et comment abordez-vous cette compétition ?
Hyacinthe Deleplace : Les ambitions sont simples : donner le meilleur de moi et, quel que soit le résultat, ne rien regretter. Les Jeux, c’est la compétition que j’attends depuis le début et ce pour quoi tout sportif compétiteur s’engage à fond. Attention, ce n’est pas l’aboutissement. C’est quelque chose dont tout le monde rêve mais je veux y aller aussi pour faire la compétition, pas juste pour dire : « J’y suis allé ».
Souhaitez-vous adresser un message aux personnes en situation de handicap qui envisagent ou qui hésitent à pratiquer un sport d’hiver ?
Hyacinthe Deleplace : Je les encourage à fond : faîtes-vous licencier ! Toute personne en situation de handicap qui veut pratiquer doit se montrer, se manifester, à se renseigner, à engager ses projets.
Pour la compétition, c’est aussi une question de caractère. Il faut commencer par se fixer des objectifs atteignables. Il y a des comités handisport dans chaque département, et ils organisent des sessions de découverte et d’initiation. La première chose essentielle c’est d’avoir envie, et de vouloir se dépasser. Et par rapport aux barrières que l’on peut se mettre, ce n’est pas forcément parce qu’on est en situation de handicap que l’on est fragile. Si on a envie de faire quelque chose, il faut essayer.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Hyacinthe Deleplace : Regardez les Jeux Paralympiques ! Et peut-être que ça suscitera une vocation chez certains, en tout cas c’est ce qui s’est passé pour moi !
Le palmarès de Hyacinthe Deleplace
En Para Ski Alpin
2022 – Championnat du Monde à Lillehammer
1er Descente / Guide Valentin Giraud Moine
1er Super G / Guide Valentin Giraud Moine
1er Super Combiné / Guides Valentin Giraud Moine, Maxime Jourdan
3e Slalom Géant / Guide Maxime Jourdan
Coupe du monde
2020 – 2021 : 1er au classement Général / 1er au classement Slalom / 3e au classement Géant
2019 – 2020 : 2e au classement du Slalom
2018 – 2019 : 1er au classement Général / 2e au classement Slalom / 2e au classement Super G / 3e au classement Géant
En para-athlétisme
2013 – Championnat du monde à Lyon
Médaille de bronze – 400 m T12
Médaille de bronze en relais 4 x 100m T11-13
2012 – Jeux Paralympiques à Londres
7e place – 400 m T12 (Record personnel)
2011 – Championnat du monde à Christchurch
10e place – 200 m T12 / 7e place – 400 m T12
2007 – Colorado Spring
Champion du Monde junior – 100m / 400m T12
Pour plus d’informations sur les Jeux Paralympiques de Pékin 2022, rendez-vous ici : https://olympics.com/fr/beijing-2022/paralympiques