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Le pragmatisme américain de Microsoft pour les travailleurs et consommateurs handicapés

l'approche du design thinking chez Microsoft permtet de répondre aux besoin des travailleurs et consommateurs handicapés
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Stéphane Forgeron, qui est actuellement en formation au Massachusetts Institute of Technology, en Design Thinking, nous partage de bonnes pratiques en matière d’innovation dans l’emploi et la consommation des personnes handicapées aux Etats-Unis et plus particulièrement chez Microsoft

Pouvez-vous citer une initiative ayant favorisé l’emploi des personnes handicapées au sein de Microsoft US ?

La Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées à 99% franco-française n’existe pas dans les pays qui ont fait de réels efforts dans ce domaine. Cet événement, considéré comme stigmatisant dans les pays anglo-saxons, sera l’occasion une année de plus de parler à l’envi de sensibilisation, alors que d’autres pays sont dans l’action. Handicap = opportunité pour des entreprises ayant compris que ces salariés ne constituent pas un risque mais bien une chance pour le business.

Les actions de recrutement et d’évolution de carrière de « talents handicapés »[1] ont été fortement soutenues par Bill GATES aux États-Unis au début des années 2000. En 1999, lui et 21 dirigeants d’autres grands groupes Américains ont fondé le « Able to Work Consortium », un consortium indépendant dédié au renforcement des opportunités d’emploi offertes aux profils handicapés à potentiel. En la matière, les managers insistent sur le fait qu’au sein de Microsoft US seules comptent les compétences et l’expérience.

C’est dans cet esprit que les dirigeants de ces multinationales, dont Bank of America, Ford, IBM, Lucent, Merrill Lynch, Caterpillar, ont impulsé 5 initiatives :

  1. La création de groupes d’affinités, auto-organisés et composés de personnes vivant avec un handicap similaire (ex. sourds et malentendants, personnes avec un déficit d’attention, aveugles et malvoyants). Ces groupes apportent un soutien et des opportunités de travail en réseau, recrutent des étudiants handicapés dans les universités et veillent au développement des carrières. Chaque groupe est suivi et soutenu par un membre de l’exécutif de ce consortium.
  2. Le recrutement ciblé implique des interactions entre entreprises et associations, tel le « Able to Work Consortium », la participation à des salons de l’emploi spécialisé comme la « Hire Disability Job Fair », le recrutement dans les universités ayant été l’occasion de signer des partenariats avec des entreprises et la publication des offres d’emploi sur des sites spécialisés. Les responsables de cette stratégie chez Microsoft US avaient souligné que leur but était de repérer avant la concurrence des talents chez des personnes handicapées.
  3. Les programmes de formation s’adressent aussi bien à l’équipe chargée du recrutement qu’aux managers. Tous bénéficient de ressources et d’outils en ligne pour les aider dans leur tâche. Ce programme de formation est unique en son genre, s’appuyant sur une approche holistique du processus d’inclusion. Dès l’annonce de l’arrivée d’un nouvel employé dans un service, ses futurs collègues sont invités à poser des questions sur le handicap du nouveau venu, afin de préparer l’environnement à être le plus accueillant. Ce processus de sensibilisation peut aller jusqu’à inclure des séances « en silence » au cours desquelles les employés sont obligés de communiquer autrement que par la parole pour les sensibiliser à la langue des signes utilisée par leurs collègues sourds. Les employés sont incités à exprimer leurs besoins d’aménagements particuliers.
  4. Un processus systématique d’aménagements ergonomiques des postes de travail est mis en place pour permettre aux collaborateurs handicapés d’atteindre le niveau de productivité exigé par l’entreprise. La direction stratégique de Microsoft a créé un Conseil national d’ergonomie, lequel se réunit tous les mois : il a la responsabilité de coordonner les aménagements dans toute l’entreprise, d’évaluer l’impact éventuel des nouvelles technologies et des programmes d’aménagement en cours. En outre, Microsoft dispose d’une équipe qui met au point les nouvelles technologies d’assistance (une vingtaine d’évaluations par mois), ainsi que d’une équipe d’ergonomes chargée des évaluations individuelles (180 par mois, chacune d’une durée de 6 à 8 heures). Enfin, dans son laboratoire d’accessibilité, les employés testent les aménagements avant qu’ils soient mis en place.
  5. La création d’une filière de repérage de « talents handicapés » existe au sein de Microsoft, avec pour but de proposer des bourses, des stages, des dons de logiciels, etc. Microsoft est également sponsor d’un programme fédéral de stages au cours desquels les personnes handicapées suivent dans les agences fédérales des formations gratuites de 11 mois.

L’ensemble de ces initiatives constitue une approche complète du processus de recrutement et traduit la philosophie de Microsoft US : les personnes handicapées sont partie intégrante de l’entreprise et leur handicap est signe d’une différence au même titre que la couleur de peau ou l’origine ethnique. Pour cette multinationale, cette stratégie volontariste montre que l’embauche de « profils handicapés » représente un enjeu économique, le travail de ces collaborateurs ayant un impact sur les produits grand public commercialisés.

Une des thématiques de cette SEEPH est la transition numérique. Où en est Microsoft à ce sujet pour les personnes handicapées ?

Ce processus d’intégration des technologies digitales dans le fonctionnement de toute entreprise pour améliorer sa performance doit prendre en compte la dimension de l’accessibilité numérique, afin que cette transition ne soit pas synonyme d’exclusion numérique.

Dans les années 1990, l’accessibilité numérique ne constituait pas un grand intérêt pour Microsoft. Or, des associations américaines de défense des personnes handicapées ont vu le risque d’exclusion de telles innovations pour leurs adhérents, notamment en termes d’accès à l’emploi. Des associations de défense des personnes aveugles américaines ont su créer un rapport de force avec cette multinationale. Conscientes qu’une action en justice pourrait prendre au moins 10 ans avant d’obtenir gain de cause, ces associations, très solidaires entre elles, ont mené des actions de lobbying auprès des États Américains pour que dans tout appel d’offres les logiciels soient accessibles, d’où une menace pour Microsoft de perdre des marchés.

Si aujourd’hui Microsoft se préoccupe d’accessibilité numérique, c’est grâce au combat mené par ces associations. La Fédération Nationale des Aveugles (USA) reconnaît que de nombreux efforts ont été entrepris par Microsoft, mais beaucoup reste à faire, tellement les frustrations de ses adhérents sont grandes. La pédagogie et la persuasion ne sont pas toujours suffisantes pour qu’une entreprise intègre dans ses processus l’accessibilité numérique. Celle-ci doit être un objectif à atteindre, un élément à intégrer systématiquement dans tout projet informatique, et un axe stratégique dans la conception de logiciels pour les directions informatique et marketing.

Depuis plus de 20 ans, Microsoft s’est doté d’une équipe chargée d’assurer l’accessibilité de ses divers produits aux utilisateurs handicapés, rattachée à sa direction de l’Innovation. Des produits Microsoft Office, tels que Word, Excel et Outlook, sont globalement accessibles techniquement mais restent difficilement utilisables (ex. 95% des fonctionnalités ne sont pas utilisées dans Outlook 365 mais polluent l’expérience utilisateur).

Cependant, progressivement émergent de nouvelles démarches innovantes de design centrées sur l’humain, à travers notamment le Design Thinking et des techniques complémentaires afin de mieux prendre en compte la diversité des utilisateurs / consommateurs dans la conception de produits et services dématérialisés. D’ailleurs, Microsoft s’inscrit de plus en plus dans une démarche de conception universelle, que cette multinationale appelle « inclusive design » (ou conception inclusive).

Microsoft a créé en mai 2022 un « Inclusive Tech Lab[2] » près de Seattle. Ce design studio est avant tout un incubateur de conception de produits et services inclusifs, où Microsoft et des groupes utilisateurs de personnes handicapées peuvent imaginer et évaluer la conception de nouveaux produits par l’innovation. Il s’agit d’un espace où les designers de cette entreprise peuvent remettre en question des hypothèses et choix tout en apprenant à reconnaître que des développements informatiques peuvent exclure une partie de la population. Les contraintes auxquelles sont confrontées les consommateurs handicapés sont réelles, mais par un processus itératif de nouvelles idées émergent, en concevant pour une cible donnée (ex. un handicap) et en l’étendant à plusieurs cibles (ex. personnes âgée, enfants).

Cette approche basée avant tout sur le design, à savoir l’expérience utilisateur (ex. utilisation simple et intuitive, information perceptible, tolérance à l’erreur) et non l’atteinte d’un taux de conformité à un référentiel de critères techniques, est vraiment à suivre et est très prometteuse pour les produits qui seront commercialisés dans le futur par Microsoft. Le plus grand défi auquel Microsoft est confronté est peut-être de passer d’une culture d’ingénieurs à une culture de designers.


[1] Toutes les initiatives décrites ci-après remontent au début des années 2000 aux USA et ont été reprises par d’autres acteurs économiques ultérieurement sous d’autres formes.
[2] Microsoft Inclusive Tech Lab: https://www.microsoft.com/en-us/inclusive-tech-lab

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