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Entretien avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée au handicap

Geneviève Darrieussecq a été nommée ministre déléguée chargée des personnes handicapées le 4 juillet dernier. Elle évoque ici sa vision des choses et ses projets pour améliorer la situation des personnes en situation de handicap.

Entretien avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée au handicap
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Découvrez notre interview de Geneviève Darrieussecq, nommée ministre déléguée chargée des personnes handicapées le 4 juillet 2022. Nous avons échangé avec elle au sujet de ses projets face aux difficultés rencontrées aujourd’hui par les personnes en situation de handicap.

Podcast de l’entretien de Geneviève Darrieussecq, nommée ministre déléguée chargée des personnes handicapées le 4 juillet 2022.

Geneviève Darrieussecq, dans quel état d’esprit abordez-vous vos nouvelles fonctions de ministre déléguée chargée des personnes handicapées ?

Geneviève Darrieussecq : Avec une grande motivation, une grande attention et beaucoup d’intérêt. Depuis presque trois mois, je me suis totalement immergée dans ce ministère et les enjeux du handicap.

Je pense que beaucoup de choses ont été mises en œuvre et que nous devons continuer avec beaucoup de volontarisme pour venir en soutien des personnes en situation de handicap et de leurs familles.

Savez-vous déjà quelles seront vos priorités dans le cadre de vos missions ?

Geneviève Darrieussecq : Ce sera d’envisager, déjà, le handicap avec une approche sociale. C’est-à-dire via l’inclusion, ce dont on parle depuis maintenant longtemps et qui est une nécessité. Faire en sorte que chaque enfant en situation de handicap puisse suivre une scolarité. Que chacun puisse avoir une formation, un emploi. Je souhaite aussi porter mon attention sur l’évolution de la carrière tout au cours de la vie, ainsi que sur le vieillissement des personnes en situation de handicap. C’est véritablement construire avec elles des parcours de vie. C’est ce qui me paraît particulièrement nécessaire aujourd’hui : des parcours de vie totalement inclus dans notre société.

Pourriez-vous nous parler plus particulièrement de vos projets, de vos idées et de votre vision des choses sur les thèmes suivants :

– L’école : En cette nouvelle rentrée, beaucoup d’enfants sont encore sans solution adaptée (manque d’AESH, manque de structures d’accueil, refus de certains établissements…). Quels sont vos projets pour améliorer la situation ?

Geneviève Darrieussecq : Il y a toujours des personnes qui peuvent manquer de solutions et trouver que l’accompagnement n’est pas satisfaisant. Je voudrais quand même dire que beaucoup de choses ont été réalisées. Je ne m’en satisfais pas mais je le constate quand même. Encore cette année, nous avons eu 430 000 enfants en situation de handicap accueillis dans les écoles, et 4 000 AESH supplémentaires recrutés. C’est un investissement de 3 milliards et demi dans le budget de l’Éducation nationale. Donc l’accueil à l’école est une vraie préoccupation.

Dire que c’est suffisant, bien sûr que non. Nous devons continuer à avancer dans ce domaine. Pour moi, il ne faut pas nécessairement un AESH pour chaque élève handicapé. Il faut aussi développer l’accès aux outils qui sont nécessaires pour certains enfants. Il faut continuer à adapter la pédagogie, l’enseignement, beaucoup de choses ont déjà évolué. C’est avec cette palette d’outils et de solutions humaines, techniques et pédagogiques que nous arriverons à créer un écosystème favorable pour accueillir tous les enfants.  

Le travail n’est pas fini. Nous en sommes conscients. Nous allons continuer à avancer avec le ministre de l’Éducation nationale et la ministre de l’enseignement supérieur.

– Dans la suite de l’école, l’emploi. À l’approche de la SEEPH 2022 : Le taux d’emploi des personnes handicapées reste deux fois moins important que celui de l’ensemble de la population active. Avez-vous déjà des idées pour tenter d’y remédier ?

Geneviève Darrieussecq : Il est vrai que les personnes handicapées ont un taux de chômage élevé, de 14%. Il est passé de 18% à 14%. Il y a donc déjà eu un gros travail réalisé, mais bien sûr ce n’est pas suffisant. Mon ambition c’est de faire, avec le ministre du Travail, Olivier Dussopt, que notre objectif national de plein emploi, s’applique également aux personnes en situation de handicap.

Nous avons devant nous une feuille de route assez claire : ce n’est pas forcément rajouter des dispositifs, parce qu’il y en a déjà beaucoup qui ont été mises en œuvre. C’est faire en sorte de les rendre plus facilement accessibles. C’est aussi faire en sorte de changer le regard de la société, le regard des entrepreneurs, du monde économique, et même celui de la Fonction publique, pour que les personnes en situation de handicap puissent être recrutées à un bon niveau. C’est aussi simplifier et faciliter les démarches.

Je crois beaucoup à un parcours professionnel pour les personnes en situation de handicap, qui peut partir de l’ESAT pour certains, et aller jusqu’au milieu ordinaire. Bien sûr, il faut s’appuyer sur toutes les mesures qui ont été mises en œuvre, que ce soit les emplois accompagnés, les CDD tremplins… Il y a beaucoup de dispositifs qui sont dès aujourd’hui financés et mis en œuvre par Cap emploi, l’AGEFIPH et le FIPHFP. Nous devons impérativement continuer à les déployer avec beaucoup d’attention et en individualisant chaque parcours professionnel. Tout ceci doit se faire dans la précision : c’est de la dentelle !

Donc il ne s’agirait pas forcément de créer de nouvelles mesures, mais plutôt de continuer à mettre en œuvre ce qui a déjà été instauré et agir sur la sensibilisation…

Geneviève Darrieussecq : Oui, et il faut aussi évaluer ce qui a été mis en place.

Mais, pour être allée beaucoup sur le terrain, je me rends compte qu’il y a encore énormément de marge de progression. Donc, il s’agit de travailler avec Cap emploi, Pôle emploi, bientôt France travail, pour être toujours très proactif sur l’emploi des personnes en situation de handicap, à partir de l’existant.

Évaluer, ensuite. S’il faut de nouvelles mesures, nous pourrons les prendre. Mais pour l’instant, je pense que les mesures en place sont intéressantes et qu’il nous faut les déployer de façon plus importante.

– Les démarches administratives liées au handicap : beaucoup de personnes se réjouissent de la réforme de l’AAH. Toutefois, elles ne comprennent pas pourquoi elles doivent attendre le 1er octobre 2023 et font face à des délais de réponse encore problématiques sur une grande partie du territoire. Que souhaitez-vous leur répondre ?

Geneviève Darrieussecq : Deux choses. D’abord, la déconjugalisation de l’AAH pour octobre 2023, ce n’est ni de la mauvaise volonté, ni un problème budgétaire : c’est simplement une contrainte technique et le souci d’éviter des perdants. Cette loi a été votée. Si nous l’appliquions telle qu’elle a été votée, nous aurions 45 000 perdants parmi les personnes handicapées en couple et qui ont un emploi. Pour moi, ce n’est pas acceptable. Nous offrir un système où il n’y aura pas de perdants. Il y aura également 160 000 « gagnants », c’est-à-dire des personnes qui toucheront l’AAH alors qu’elles n’en touchaient pas ou qui recevront davantage d’AAH.

Ensuite, il y a un travail technique très particulier à réaliser de la part de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), car en fait, toutes les prestations de la CNAF sont conjugalisées. Donc il faut sortir de ce système pour déconjugaliser l’AAH. C’est donc un travail qui, contrairement à ce que certains pensent, ne se fait pas en un mois. L’important est que cela soit mis en place le plus rapidement possible et sans bug pour les usagers. Il faut ce temps-là, et les équipes de la CNAF se sont engagées à déployer cela dès le 1er octobre 2023.

Et concernant les délais de réponse des MDPH ?

Geneviève Darrieussecq : C’est une constante partout où je vais. Ce sont des délais trop longs et des dossiers trop complexes. J’ai un objectif sur lequel nous allons vraiment travailler d’arrache-pied : c’est la simplification et l’amélioration des délais.

C’est une feuille de route que j’ai donnée à toutes mes équipes et surtout à toutes les directions des MDPH et à la CNSA, qui épaule les maisons départementales, notamment dans les évolutions numériques – car c’est bien par le numérique que viendront la simplification et la rapidité. Aujourd’hui, chaque MDPH a bien souvent son système d’information propre. Il nous faut aller jusqu’au bout du système harmonisé pour faciliter les échanges avec les organismes de sécurité sociale, afin d’aller plus vite dans l’accès aux droits. L’objectif c’est de répondre plus rapidement, de simplifier les dossiers et donc d’améliorer le parcours des personnes concernées.

Il me semble qu’un dossier, dans de très nombreux cas, ne devrait pas être refait à chaque demande. Il devrait suivre toute la vie de la personne en situation de handicap. C’est le « dîtes-le nous une fois » qui doit être mis en place.

Ce serait donc dans la continuité de ce qui a déjà été lancé avec certains droits attribués à vie…

Geneviève Darrieussecq : Absolument. Cela a été commencé avec Sophie Cluzel dans les cinq dernières années, avec la mise en place de prestations à vie. C’est pratiquement déployé dans toutes les MDPH, mais nous avons encore beaucoup de travail de simplification à réaliser.

– La situation des aidants : À l’approche de la Journée des aidants du 6 octobre prochain, les associations alertent sur la dégradation de leurs conditions de vie et estiment que les droits associés à leur statut ne sont pas respectés. Qu’en pensez-vous ?

Geneviève Darrieussecq : D’abord, les aidants, cela représente beaucoup de monde. Plus de 8 millions de personnes, avec parfois certains d’entre eux qui ne s’identifient pas comme tels, comme des « aidants ». C’est effectivement des personnes à qui on doit beaucoup d’attention. Et nous avons ouverts des droits comme : le congé proche aidant et l’allocation journalière du proche aidant… Tout ceci doit permettre de conjuguer un emploi avec le fait d’être aidant.

Je veux être attentive à plusieurs choses.

Au repos des aidants d’abord, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils puissent prendre du répit. Pour cela, nous avons besoin de déployer des unités de répit, absolument essentielles, mais aussi des unités de relayage, qui permettent aux aidants de partir quelques jours, pendant qu’un intervenant vient prendre leur place auprès de leur proche à domicile.

Je veux ensuite améliorer la santé des aidants. Bien souvent, malheureusement, ils ne prennent pas le temps de se soigner eux-mêmes.

Je vais porter également une attention particulière aux jeunes aidants, parce qu’il y a beaucoup de jeunes, dans des familles, qui n’estiment pas qu’ils sont aidants alors qu’ils le sont au quotidien. Il peut y avoir des lycéens, de jeunes étudiants, qui sont dans des situations où ils mènent des activités et ont aussi, à leur domicile, une personne qui a besoin d’eux. Il y a aussi les aidants âgés, on en voit de plus en plus. Nous avons besoin de prendre soin d’eux et de faire en sorte de pouvoir leur apporter des solutions. Ce sont des personnes de confiance pour la personne en situation de handicap, mais qui peuvent être fragilisées par le fait d’être sollicitées quotidiennement.

Autre chose intéressante : dans le projet de loi actuellement discuté au Parlement, les aidants pourront, pour certains, valoriser leur expérience d’aidant dans des validations des acquis de l’expérience (VAE) et obtenir des qualifications professionnelles grâce à ces expériences personnelles qu’ils auront vécues. Je trouve aussi que c’est une belle reconnaissance. C’est-à-dire que ce qu’ils ont fait au quotidien pour les personnes dont ils se sont occupées, non seulement est reconnu, mais peut être valorisé dans des qualifications professionnelles.

– L’autisme et les personnes sans solution : Malgré les efforts mis en avant par le Gouvernement lors du quinquennat précédent, les associations continuent à nous faire part de nombreux exils vers la Belgique, faute de solutions trouvées en France. Avez-vous des projets sur ce terrain ?

Geneviève Darrieussecq : Nous avons mis des moyens pour développer des solutions territoriales dans les trois grandes régions concernées afin de prévenir les départs vers la Belgique : des solutions en Ile-de-France, dans les Hauts-de-France et dans le Grand Est, afin de donner des possibilités franco-françaises aux personnes en situation de handicap qui en ont besoin. C’est ce qui a été fait dans les années qui viennent de s’écouler, avec la mise en œuvre de solutions pour prévenir les départs en Belgique. Au total, ce sont environ 2 500 solutions nouvelles qui sont en cours de déploiement. Certaines commencent à ouvrir maintenant et cela va se déployer dans les deux ou trois ans qui viennent.

Nous avons envisagé des diversifications des modes de solutions. Ce ne sont pas forcément que de grandes institutions ou de grands établissements médico-sociaux, mais aussi des systèmes d’habitat partagé, des choses plus souples et plus simples à mettre en œuvre pour les collectivités, les départements et nous-mêmes. Je crois que diversifier les modes de résidence est un véritable enjeu. Bien sûr, il y a des besoins qui sont différents. Par exemple, nous avons des unités résidentielles pour des adultes avec trouble du spectre autistique en situation très complexe qui seront déployées. Mais il existe aussi des handicaps moins complexes, qui nécessitent des moyens plus souples.

Le concept d’habitat partagé rencontre beaucoup de succès, mais les personnes qui nous ont présenté leurs projets connaissent encore beaucoup de difficultés liées au marché de l’immobilier notamment… ce qui entraîne des délais de mise en œuvre très longs, avec derrière, une très forte demande…

Geneviève Darrieussecq : C’est un travail que je vais réaliser avec le ministre délégué au Logement, et qu’il faut également réaliser avec les collectivités. J’ai été maire, je sais ce que c’est. Il est toujours très compliqué de réaliser un projet : il y a des normes d’urbanisme, des réglementations normatives qui retardent souvent les projets. Il faut que nous arrivions à donner de la souplesse à tout ça. Et nous allons y travailler également.

– L’accessibilité : Pensez-vous que la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 sur l’accessibilité soit encore à l’ordre du jour. Si oui, avez-vous des projets en ce sens ?

Geneviève Darrieussecq : Non seulement elle est à l’ordre du jour, mais il faudrait qu’elle soit mise en œuvre tout court ! C’est vrai que les objectifs de mise en œuvre ont été repoussés à 2024.

Nous souhaiterions, pour les deux ans qui viennent, qu’il y ait une accélération, pour terminer ces projets d’accessibilité qui ont été programmés par les collectivités il y a de nombreuses années. L’objectif c’est 2024, année des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris. On travaille beaucoup sur l’accessibilité universelle pour ces Jeux et j’espère qu’on pourra finir de donner cette impulsion. L’accessibilité universelle devra être véritablement un objectif obligatoire dans toutes les réalisations nouvelles qui se feront à l’échelle de notre pays. Il vaut mieux rendre accessible de façon universelle tous les équipements nouveaux que le faire dans un deuxième temps, ce qui coûte beaucoup plus cher. L’accessibilité universelle doit devenir native.

Concernant la mise en place d’ambassadeurs de l’accessibilité, est-ce que c’est quelque chose qui est toujours d’actualité ?

Geneviève Darrieussecq : Oui, c’est quelque chose que nous devons continuer à mettre en œuvre. Le problème, c’est qu’on ne peut pas uniquement déclarer des choses, il faut également qu’il y ait une volonté de tous les acteurs de pouvoir avoir recours à ces ambassadeurs. J’en ai parlé avec la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et du Service national universel, Sarah El Haïry qui a en charge le service civique. Je crois que ce sont des missions qui peuvent totalement intéresser une jeunesse en service civique, en demande d’une action qui ait du sens.

Si on rappelle le principe : il s’agit de jeunes en service civique qui vont interpeller les différents acteurs susceptibles de rendre les lieux publics plus accessibles…

Geneviève Darrieussecq : Pas forcément les interpeller, mais voir si les diagnostics ont tous été faits, et surtout faire en sorte de faire comprendre pourquoi il est important de se mettre en accessibilité. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement pour les personnes en situation de handicap que c’est utile. Nous avons une population vieillissante, avec des personnes âgées dont la locomotion se détériore au fur et à mesure de l’avancée en âge. Il y a aussi les jeunes enfants : je suis mère et j’ai vécu l’expérience des poussettes avec les marches d’escalier et les trottoirs trop élevés. Donc, en fait, la mise en accessibilité est utile pour tout le monde, et c’est cela qu’il faut marteler.

– Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Geneviève Darrieussecq : Je voudrais simplement ajouter que nous avons, le 6 octobre prochain, le Comité interministériel du handicap, qui sera réuni par la Première ministre. À cette occasion, nous préparerons la Conférence nationale du handicap (CNH), qui aura lieu en 2023, et qui sera une grande étape pour les personnes en situation de handicap. Nous allons donc écrire collectivement la feuille de route pour les années à venir. Un travail va être réalisé, notamment avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui est un de nos interlocuteurs pour avancer sur tous ces thèmes. Nous sommes très motivés, avec le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, pour faire avancer tous ces sujets si importants pour améliorer la vie des personnes en situation de handicap… et de tous les concitoyens !

En photo : Geneviève Darrieussecq © Ministères sociaux DICOM Nicolo Revelli Beaumont Sipa

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